Avant même la réouverture, hier lundi 13 mars, de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la tenue de la plénière inaugurale, le président de la République Kaïs Saïed affirmait que la formation de blocs parlementaires « fait partie du passé ». Des propos qualifiés par certains d’ingérence dans les affaires internes du nouveau pouvoir législatif.
D’ores et déjà, le président de la République annonçait la couleur. Ainsi, avant même la tenue, hier lundi 13 mars 2023, de la séance plénière inaugurale de l’ARP au palais de Bardo. Plénière au cours de laquelle les députés fraîchement élus prêtaient serment et choisissaient au Perchoir, au second tour, l’ancien Bâtonnier Brahim Bouderbela. Soit un soutien indéfectible de la première heure du processus du 25-Juillet. Kaïs Saïed fixait les grandes lignes du règlement interne de l’Assemblée.
Intervention de Carthage dans les affaires de l’ARP avant même son installation? Réponse sans équivoque du juriste Sghaier Zakraoui : il s’agit d’une « déviation vers un régime autocratique ».
« Les blocs parlementaires, c’est du passé »
En effet, lors de la visite inopinée qu’il a effectuée samedi 11 mars au siège de « Snipe La Presse », le président de la République est revenu sur le rôle du prochain Parlement. En considérant qu’il « doit répondre aux attentes des citoyens ». Et en rappelant à l’occasion que désormais, les députés seront « redevables envers leurs électeurs » et que la formation de blocs parlementaires « fait partie du passé ». Puisque, à ses yeux, les législations « doivent refléter la volonté générale et non les intérêts de certaines parties nostalgiques de l’ancienne ARP ou de la dernière décennie ».
Inscrits dans la Constitution
Etrange. Car, dans tous les Parlements du monde, sauf dans les régimes totalitaires, il est d’usage que les blocs parlementaires se regroupent en fonction de leurs choix politiques au sein du Parlement. Quoi de plus normal en démocratie?
De plus, l’article 62 de la Constitution 2022 écrite de la main propre du Président, et dans le souci légitime de couper court « au tourisme parlementaire », stipule qu’il est interdit à un député ayant quitté un bloc parlementaire auquel il était affilié au début de son mandat, de rejoindre un autre bloc parlementaire.
Cela représente implicitement à la reconnaissance de blocs parlementaires au sein de la future Assemblée des représentants du peuple. En outre, n’est-il pas dans l’ordre des choses que des élus forment des groupes parlementaires pour défendre leurs idées sous le dôme de l’hémicycle? D’ailleurs, et à titre d’exemple, n’est-il pas dans la logique du travail parlementaire que le Harak 25-Juillet, un mouvement qui soutient ouvertement le Président, mais qui n’est pas encore un parti, forme inéluctablement un bloc parlementaire?
« Ce n’est pas une accusation »
« Il est impossible de supprimer les blocs parlementaires au sein de l’Assemblée des représentants du peuple ». Ainsi réagit à son tour le professeur de droit constitutionnel, Amin Mahfoudh. Il s’exprimait en ce sens, lors de son passage sur les ondes de Mosaïque FM, dimanche 12 mars 2023. Ajoutant ne pas considérer les blocs comme « une accusation »; mais bien « une nécessité pour gérer le travail du Parlement ».
Par la même occasion, le constitutionnaliste n’a pas manqué de souligner que la tenue de la première plénière de la nouvelle ARP « marquera la suspension du décret 117 de 2021 ».
« Le président de la République n’aura donc plus la possibilité de signer de nouveaux décrets ». Puisque l’entrée en vigueur de la Constitution de 2022 « a mis fin à l’état d’exception ». Et que tous les décrets émis par le chef de l’Etat, depuis le 22 septembre 2021, doivent être, « soit approuvés, soit rejetés par le nouveau Parlement ». C’est encore ce qu’il a souligné.
« C’est la base du travail parlementaire »
Commentant pour sa part les dernières déclarations du chef de l’Etat selon lesquelles l’ère des groupes parlementaires est à jamais révolue, le professeur de droit public, Sghaier Zakraoui, a déclaré lundi 13 mars, lors de son intervention dans La Matinale de Shems FM, « ne pas concevoir un Parlement sans blocs parlementaires ». Lesquels « expriment les différences d’orientations et les sensibilités politiques. Cela sert de base à tout travail parlementaire », conclut-il
Cela commence bien!
Soulignons enfin qu’un grand déploiement policier a été observé, hier mardi, à proximité de l’hémicycle à l’ouverture de la séance inaugurale de la nouvelle législature. De plus, à l’exception de la Télévision nationale, la Radio tunisienne et l’Agence Tunis Afrique-Presse (TAP), les journalistes locaux ainsi que les correspondants internationaux ont été empêchés d’accéder au palais de Bardo; sans que l’on sache d’où vient cette décision abusive.
Comme s’il fallait à tout prix gâcher la fête. Ce qui ne laisse présager rien de bon.