Je n’ose pas penser à la réponse à cette question ! En effet, ne pas avoir eu un 20 Mars voudrait dire que notre peuple serait encore colonisé, nos ressources pillées, et l’espoir de paix anéanti.
Mais notre patrie a eu un 20 Mars 1956 et avant de partager ce que cette date représente pour moi, j’ai voulu interroger les deux générations qui m’ont précédées et celle qui m’a suivie. En effet mon témoignage n’a de sens que pris dans un contexte plus vaste.
Notre cinéaste Ridha Behi a eu la gentillesse de me raconter ce que feu son père HajH’mida Behi (1906-1980) aurait pensé de notre indépendance, avant de me délivrer son propre témoignage.
Feu mon père, me dit-il appartenait à la génération qui a tout sacrifié pour libérer notre patrie. Cette génération l’a fait naturellement sans rien attendre en retour. Tous les martyrs, leur famille, les fellagas… tellement de patriotes ont traduit le vrai sens de l’amour de la patrie en des actions extraordinaires pour la libérer du joug du colonisateur. En faisant cela, ils ont offert le plus beau cadeau aux générations futures : leur vie ! Mais au-delà de leur vie, Feu mon père a aussi inculqué à ses élèves, quand il était enseignant (1925-1961), l’amour du pays et l’importance du savoir pour aussi le libérer du joug de l’ignorance et de la pauvreté.
Pour moi, me dit Ridha Behi, qui suis né avant l’indépendance, je sais que le militantisme de mon père, qui était un des compagnons du Zaim Bourguiba, n’était pas une promenade, ni une partie de plaisir. J’étais avec lui quand notre voiture a été poursuivie par des gens qui voulaient l’assassiner…J’ai été témoin de plusieurs scènes, les dernières années avant l’indépendance, que j’ai essayé ensuite de transmettre fidèlement dans mes films. Mon nouveau film d’ailleurs : « L’ile du Pardon », qui sortira le jour de l’Aïd, parle par exemple de l’assassinat de Farhat Hached et du militantisme des fellagas. Je sais, pour en avoir été témoin, que s’il n’y avait pas eu tous ces martyrs qui ont sacrifié leur vie, nous ne serions pas une nation libre, dont les citoyens marchent la tête haute et défiant tout ennemi qui oserait porter atteinte à sa souveraineté.
Il renchérit, il est vrai que l’amertume de certains contre Bourguiba, leur a fait oublier l’histoire de tout un pays. Bourguiba est un symbole et son combat ne doit pas occulter le combat de tout un peuple.
Fière de ces deux témoignages qui renforcent ma gratitude et reconnaissance pour toutes celles et ceux qui ont tellement fait pas seulement pour libérer notre pays, mais pour promouvoir le savoir et la culture, seuls remparts contre le sous-développement. J’ai alors contacté un groupe de jeunes pour voir si nos trois générations ont été capables de faire passer cet amour pour la patrie dans le lait maternel ?
Les jeunes m’ont alors retourné la question : que veut dire patrie ? Que nous a donné cette patrie où nous ne trouvons pas de travail, où tout est cher, où nous n’avons pas de perspectives ni de projets de vie. Nous voyons nos amis, qui sont partis à l’étranger vivre mieux que nous, alors que nous qui avons fait le choix de rester, nous nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts.
Leur cri de détresse m’a assez secouée je l’avoue, non pas que j’ignore la réalité des pénuries, de la cherté de la vie, ni de l’inflation galopante… mais que cela les pousse à douter de leur appartenance à notre patrie, m’a profondément attristée.
Et la seule question qui m’est venue à l’esprit : Qui est responsable ? Qui a tout fait pour nous faire oublier le 20 Mars, nos patriotes, nos martyrs… Qui est responsable du désarroi de nos jeunes d’aujourd’hui et de demain?
Par Khadija T. Moalla, PhD