Le président de la République Kaïs Saïed, féru d’histoire, déplore que notre pays n’ait reçu « que des miettes du champ Bouri qui peut couvrir tous les besoins tunisiens en matière d’hydrocarbures ». Des propos susceptibles de provoquer une crise diplomatique avec nos voisins libyens. Est-ce le moment opportun?
Pourquoi diable remettre à plat un sujet vieux de plus de quarante ans; au risque de provoquer une crise diplomatique de trop avec notre voisin libyen? Alors même que nos relations bilatérales avec l’Algérie viennent d’être mises à rude épreuve. Et ce, à cause de l’opposante franco-algérienne Amira Bjaoui « infiltrée illégalement » via la Tunisie. Sans omettre la grave brouille diplomatique avec le Maroc; après l’accueil dans la capitale tunisienne du chef du Polisario, Brahim Ghali, à sa descente d’avion, par le président Kaïs Saïed. Et ce, au même titre que les autres présidents et chefs de gouvernement venus assister au sommet Japon-Afrique (Ticad).
« La Tunisie n’a reçu que des miettes du champ Bouri qui peut couvrir tous les besoins tunisiens en matière d’hydrocarbures ». Ainsi, regrettait le président de la République, Kaïs Saïed, provoquant sur le champ l’ire et l’indignation des responsables libyens.
Leçon d’histoire
En effet, lors d’une récente visite effectuée à l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (ETAP), et alors qu’il s’entretenait avec sa PDG, Dalila Chebbi Bouattour, le chef de l’Etat, muni d’une carte géographique s’est fendu d’une leçon d’histoire sur l’affaire du champ pétrolifère de Bouri.
Pointant du doigt les frontières maritimes entre les deux pays, le locataire du palais de Carthage rappela, « pour l’histoire », qu’en 1975 il était question à l’époque de partager le champ pétrolier de Bouri. Lequel c’était en mesure de couvrir tous les besoins de la Tunisie et même plus ». Sachant que le ministre libyen des Affaires étrangères, Ali Abdessalem Triki en personne, « proposait ce partage ».
Mais, poursuivait Kaïs Saïed, suite à l’échec de l’Union le 12 janvier 1974 « qui n’aura duré que quelques heures », cette proposition fut rejetée.
Puis, en mai 1977, les relations entre nos deux pays sont devenues exécrables quand Tripoli décida unilatéralement d’installer une plateforme pour l’extraction du pétrole dans cette zone litigieuse. Et il a fallu l’intervention de Mahmoud Riadh, secrétaire général de la Ligue arabe pour convaincre les deux parties de soumettre le litige à la Cour internationale de Justice.
Magouilles?
Le Chef de l’Etat revient sur cet épisode pour dire que la Tunisie avait présenté un ensemble de cartes pour démontrer que les plaques tectoniques étaient orientées vers l’Est. Alors que la Libye voulait prouver de son tour que ces plaques étaient orientées vers le Nord. Ainsi, « par accord tacite entre Tunis et Tripoli », la Cour internationale de la Haye trancha en faveur de la Libye.
Que faut-il lire en filigrane de cette apparente « leçon de l’histoire »? Que la Tunisie fut lésée dans le partage des richesses du champ pétrolifère de Bouri à cause d’ »accord tacite » entre les deux parties? Y avait-il des « pressions » extérieures exercées sur l’arbitre international de ce litige pour influencer sa décision en faveur de la Libye? Les experts tunisiens, dont le géologue Habib Lazreg et Sadok Belaid, professeur à la faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, épaulés par des experts étrangers, ont-ils failli à leur mission par incompétence? Alors que Tripoli avait engagé à prix d’or les meilleurs avocats spécialisés dans la délimitation des domaines maritimes? Des questions auxquelles seuls les historiens peuvent répondre; en éclairant nos lanternes sur les tenants et aboutissants de cette ancienne affaire.
Le courroux des Libyens
Face à ces insinuations, la réponse libyenne n’a pas tardé : « Les richesses de la Libye appartiennent au peuple libyen. » Ainsi répliquait le président de la Commission de l’énergie du Parlement libyen, Aïssa Aribi, dans une déclaration à l’agence officielle libyenne. Tout en indiquant que ladite Commission est en train d’examiner les déclarations de Kais Saïed, à propos du champ pétrolier Bouri et le plateau continental afin d’y répondre « officiellement ».
Pour sa part, le ministre libyen du Pétrole et du Gaz, Mohamed Aoun Ali, rappelait dans un communiqué de presse que la Cour pénale internationale avait tranché en faveur de la Libye. Et ce, « quand la Tunisie a demandé le partage du champ pétrolier Bouri et que les deux parties ont accepté ». Donc, « les frontières maritimes entre la Libye et la Tunisie sont définies », a-t-il conclu.
Une affaire ancienne
En effet, il convient de rappeler que la Cour internationale de justice de La Haye statuait le 24 février 1982, en faveur de la Libye. Et ce, sur l’ensemble du plateau continental, à la majorité de dix voix contre quatre. Concluant à l’occasion que le champ pétrolier de Bouri se trouvait en grande partie dans les eaux libyennes; mais qu’une petite partie du champ pétrolier se situait dans les eaux tunisiennes. Ainsi, la Cour de La Haye a donc tracé une ligne de délimitation maritime ouvrant la voie à la Tunisie pour revendiquer une partie du champ pétrolier de Bouri.
Toutefois, le 10 décembre 1985, la Tunisie et la Libye signaient un accord bilatéral qui réglait définitivement la question de la délimitation maritime et du champ pétrolier de Bouri. Et ce, en établissant une frontière maritime entre les deux pays qui reconnaissait la souveraineté de la Libye sur le champ pétrolier de Bouri.
Alors à quoi cela rime de raviver une ancienne affaire qui est restée certes en travers de la gorge des Tunisiens; mais qui risque d’envenimer nos rapports avec notre voisin du Sud? Comme si on n’avait pas d’autres chats à fouetter.