20 ans après l’opération dite « Liberté pour l’Irak », l’agression anglo-américaine contre l’Irak, ni G. W. Bush ni T. Blair n’ont été inquiétés et jugés devant un tribunal international, malgré leur responsabilité personnelle dans l’agression et les crimes de guerre commis en Irak.
Le 20 mars 2003, les États-Unis, le Royaume-Uni et leurs alliés européens (l’Italie de Berlusconi, l’Espagne d’Aznar…) envahissaient l’Irak. Une invasion illégale et criminelle qui est restée impunie malgré la violation manifeste du droit international et un bilan macabre. Vingt après, la célébration légitime de la chute d’un tyran comme Saddam Hussein ne saurait faire oublier un bilan désastreux. L’invasion, puis l’occupation (entre 2003 et 2011) ont semé un chaos dantesque avec près de 500.000 civils irakiens tués. Des vies brisées, anéanties. Une guerre contre un peuple (le régime de S. Hussein, lui, s’est effondré sur lui-même, en quelques jours), une faillite morale symbolisée par les images d’humiliation d’Abou Ghraib et la banalisation d’une torture institutionnalisée.
La réaction aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 avait marqué une rupture dans la politique étrangère américaine : le réalisme pragmatique avait cédé devant une forme de « mission civilisatrice », un interventionnisme d’essence idéologique par lequel les États-Unis devaient imposer les « valeurs de la démocratie », y compris par la force. Soutenu par des figures du néoconservatisme américain*, ce tournant des relations internationales s’est accompagné d’un basculement dans la bataille des récits : le discours dominant de la « globalisation heureuse » a laissé place à la « lutte contre l’axe du Mal » et à une « guerre contre la terreur » aux intonations vengeresses.
Initiée sans l’aval de l’ONU, l’intervention en Irak de la coalition anglo-américaine en 2003 a provoqué la chute d’un dictateur, mais a suscité une déstabilisation meurtrière de la région ; elle a nourri la naissance et le renforcement de groupes djihadistes (dont Daech), et a affecté profondément et durablement la croyance dans certaines valeurs comme le respect de l’Etat de droit et des droits humains. Aux centaines de milliers de victimes irakiennes, s’ajoute le recours massif à des « techniques d’interrogatoire renforcées », soit une normalisation de la torture par l’armée américaine et la CIA. Le retrait des troupes américaines a laissé un État fragilisé et une société meurtrie, toujours en proie à l’insécurité. Une société dont la double fracture ethnique et confessionnelle a contaminé le système politique et institutionnel.
Outre la violation du droit international par la première puissance mondiale, cette guerre a revêtu une dimension symbolique et idéologique particulièrement forte. Derrière l’argument fallacieux de la présence d’ « armes de destruction massive », cette expédition s’est nourrie du fantasme d’un « choc des civilisations ». Théorisée par le politologue américain Samuel Huntington, la croyance dans un « choc des civilisations » (selon lequel l’ordre du monde tient à un conflit de systèmes de valeurs dans lequel la civilisation islamique menace l’Occident) est en effet profondément ancrée dans le débat public transatlantique. Une imprégnation qui représente en soi une victoire politique pour les néoconservateurs. Si ces derniers sont historiquement issus de la bataille idéologique anticommuniste, avec la fin de la guerre froide, la figure de l’ennemi stratégique et symbolique a pris les traits de l’islam. Aux Etats-Unis, puis en Europe, l’idée d’une incapacité supposée des sociétés arabes ou musulmanes à prendre le train de la modernité (assimilée aux valeurs de démocratie, de centralité de l’individu et de sécularisation) s’est répandue dans les milieux politiques et intellectuels. Une vision conflictuelle dont la clef de lecture culturaliste et identitaire est désormais plaquée à des sociétés occidentales, qui seraient fracturées entre un « Eux » et un « Nous ».
Cette agression fut la résultante directe de représentations culturelles biaisées justifiées par des constructions intellectuelles fondées sur une contradiction ontologique : la démocratie par la force. La rhétorique manichéenne du « bien contre le mal » promue par les néoconservateurs se parait des atours de l’interventionnisme humanitaire et prétendait vouloir exporter la démocratie, comme s’il s’agissait d’un vulgaire produit de consommation courante…
Alors que la Cour Pénale internationale vient d’émettre un mandat d’arrêt contre V. Poutine lié à l’invasion russe de l’Ukraine, une question se pose : l’impérialisme des démocraties occidentales est-il plus légitime que l’impérialisme d’une dictature ? Au regard de l’impunité de Bush et de Blair, la question se pose avec force et sape la croyance dans la justice pénale internationale véritablement universelle …