A ce qu’il qualifie « d’ingérence dans nos affaires », la réponse du président de la République, Kaïs Saïed, fut cinglante : « Nous ne sommes placés sous aucun protectorat ni aucune tutelle ». Encore faut-il avoir les moyens de sa souveraineté quand l’économie tunisienne, la tête sous l’eau, appelle désespérément à l’aide.
C’est tout un symbole. « Aujourd’hui, nous célébrons l’anniversaire de l’indépendance de la Tunisie et mon choix s’est porté naturellement sur Kairouan parce que le mouvement de libération nationale a commencé par une réunion des chefs des tribus dans l’enceinte de la mosquée Okba Ibn Nafaa au mois de juin 1881 ». Ainsi s‘exprimait le président de la République, Kaïs Saïed, au siège du gouvernorat de Kairouan. Et ce, à l’occasion de sa visite inopinée à la capitale des Aghlabites, lundi 20 mars 2023. Il y célébrait le 67e anniversaire de l’indépendance de la Tunisie.
Souveraineté sourcilleuse
L’occasion et le lieu étaient propices pour rappeler avec force que l’indépendance « ne se résume pas en un protocole signé en 1956 » et que la souveraineté sera défendue et protégée. « La Tunisie a payé un prix fort pour obtenir son indépendance. Nous ne sommes placés sous aucun protectorat ni tutelle. Nous n’avons de leçons à recevoir de personne et nous refusons toute ingérence dans nos affaires », s’est-il écrié avec véhémence.
« Le protectorat, poursuivait l’intervenant, était de facto une colonisation déguisée, car le pays était gouverné par les forces coloniales. Celui qui a signé le traité du Bardo (Mohamed el-Sadek Bey, NDLR) a trahi la patrie, et a trahi le peuple. C’était une colonisation au nom du protectorat, une implantation et une occupation des terres tunisiennes ».
Une résolution sévère
Manifestement, le chef de l’Etat réagissait directement et sans prendre de gants tout à la fois au Parlement européen et à Joseph Borell.
En effet, le Parlement européen a adopté le 16 mars en cours, par 496 voix sur 537, une résolution très sévère. Celle-ci condamne « les dérives du pays en matière de libertés publiques et de répression contre la presse et les syndicats ».
Le Parlement européen de Strasbourg s’est dit « profondément préoccupé par la dérive autoritaire du président tunisien Kaïs Saïed ». Exhortant à l’occasion les autorités tunisiennes « à libérer toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris les journalistes, les magistrats, les avocats, les militants politiques et les syndicalistes ». Et appelant à la fin de « la répression en cours contre la société civile dans le pays ».
Risque d’effondrement
Quelques jours plus tard, c’était au tour du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell de déclarer que l’Union européenne « s’inquiète de la détérioration de la situation politique et économique en Tunisie et redoute un effondrement du pays ».
Ainsi, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles, le 20 mars 2023, M. Borell qualifia la situation en Tunisie de « très dangereuse». Tout en avertissant que « si la Tunisie s’effondre, cela risque de provoquer des flux migratoires vers l’UE et entraîner une instabilité dans la région MENA. Nous voulons éviter cette situation ».
« L’Union européenne ne peut pas aider un pays incapable de signer un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) », poursuivait-il. Et de conclure que le président Kaïs Saïed « doit signer avec le FMI et mettre en œuvre l’accord, sinon la situation sera très grave pour la Tunisie».
Des propos « disproportionnés et sélectifs »
A savoir que tout en gardant un ton ferme mais mesuré qui sied à la longue tradition de la diplomatie tunisienne, le ministère des Affaires étrangères qualifiait, dans une déclaration publiée hier mardi 21 mars, les propos prononcés par chef de la diplomatie européenne le jour de la Fête nationale de la Tunisie, et qui coïncide avec la Fête de la Francophonie, dont la Tunisie est cofondatrice et présidente en exercice de « disproportionnés et de sélectifs ».
Quand le salut vient de l’extrême droite !
Troublante coïncidence : le jour même où Josep Borell évoquait le risque de « l’effondrement » de la Tunisie et la situation « très grave » de notre pays, la présidente du conseil des ministres d’Italie, Giorgia Meloni, exprimait, hier mardi lors d’un briefing dans le parlement italien, son « inquiétude » de la situation qui prévaut dans notre pays. En estimant que « l’effondrement de la Tunisie exposera l’Italie à de grands problèmes ».
En effet, confessant que le Fonds monétaire international « a suspendu ses discussions avec la Tunisie, chose qui aggravera davantage la situation », la dirigeante de l’extrême droite a affirmé devant le Parlamento italiano que Rome « fait tout son possible pour sortir de l’impasse concernant un prêt du Fonds monétaire international (FMI) à la Tunisie ».
Ironie de l’histoire. Nos « frères » des pays du Golfe semblent se désintéresser royalement de nos malheurs. Alors qu’un gouvernement européen d’extrême droite vole à notre secours pour nous sortir de l’impasse consécutive aux atermoiements de l’instance de Bretton Woods.