La Banque mondiale n’est pas seulement « une banque du cœur » pour promouvoir le développement et lutter contre la pauvreté en venant en aide aux populations vulnérables. C’est aussi une banque de raison qui a des principes et une éthique qui lui servent de boussole.
C’est ce qu’on peut comprendre de la réaction de la direction de la BM, sur fond d’événements récents concernant les migrants issus d’Afrique subsaharienne en Tunisie. C’est une question de principe, note Alexandre Arrobbio, représentant résident de la Banque mondiale en Tunisie, lors de l’interview qu’il a accordée à l’Economiste Maghrébin.
Sur toutes nos questions, les réponses sont humbles, sincères, avec un zeste de diplomatie. Alexandre Arrobbio sait toutefois convaincre ses auditeurs. Les convaincre qu’il faut reconnaître les choses telles qu’elles sont. Que c’est une note interne destinée au staff. Il ne s’agit ni d’une condamnation ni d’un rappel à l’ordre, mais plutôt d’affirmer des valeurs. Preuves à l’appui, les programmes qui sont en cours, tout comme ceux en préparation, continuent et ne seront pas interrompus. Le représentant résident de la Banque mondiale en Tunisie veut rassurer les Tunisiens. Chose faite et comme il le dit : « On a été, on est, et on sera avec la Tunisie. Il faut le dire et le préciser ».
Actualité oblige, on va commencer par la récente prise de position de la Banque mondiale à l’endroit de la Tunisie. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, compte tenu de certains événements récents, nous avons jugé nécessaire d’affirmer notre attachement aux principes universels d’antiracisme et de non-discrimination, et de rassurer notre personnel.
Une note interne a donc été envoyée à l’ensemble du personnel de la Banque mondiale pour réaffirmer ces deux points, et c’est la manière qui nous a paru la plus équilibrée et adaptée. Et je tiens à m’arrêter sur ce point.
Notre personnel au bureau de Tunis est composé de nombreux Tunisiens, d’autres Africains, ainsi que de cadres d’autres régions du monde, qui sont tous extrêmement dévoués à leur mission et en particulier à la Tunisie, et notre but, je le répète, était, à travers cette note interne, de les rassurer et d’être moralement à leurs côtés.
Le fait est que cette note a été rendue publique. Elle est sortie des circuits internes de la Banque mondiale ; son contenu a été déformé et mal interprété.
Depuis, notre vice-président, M. Férid Belhaj, est intervenu pour clarifier et expliquer de quoi il s’agissait. Il a été suffisamment clair sur la question, ce n’est pas une condamnation ni un rappel à l’ordre, c’est plutôt une affirmation de nos principes. Pourtant, on a entendu parler de pause, de suspension ou d’arrêt des concertations de la Banque mondiale avec la Tunisie. Est-ce vrai ? Absolument pas. Je note en premier lieu que nous continuons à travailler avec la Tunisie.
Nos activités en cours continuent et nos activités en préparation continuent aussi, comme par exemple la contribution au financement du projet Elmed avec d’autres partenaires dont l’Italie, l’Union Européenne, la BEI, la BERD et la KfW. Il s’agit du transport de l’énergie entre la Tunisie et l’Italie.
Un très beau projet qui peut apporter à la Tunisie la capacité de produire de l’énergie renouvelable et de lui donner une souveraineté énergétique. Nous l’avons soutenu depuis longtemps et nous continuons de le soutenir. Ce qu’il y a eu, c’est une pause dans l’approbation de la stratégie (cadre de partenariat-pays) avec la Tunisie pour les cinq années à venir. Mais, il faut bien préciser que les stratégies pays de la BM sont des documents de planification basés sur les stratégies nationales des pays aidés qui permettent de guider et d’orienter nos financements et nos activités de conseil.
La BM peut apporter des appuis techniques et financiers à un pays en l’absence momentanée d’une telle stratégie. Je note, à ce propos, qu’on est, depuis plus d’un an, hors stratégie, la dernière en date remontant à 2021.
Il y a eu toutefois l’annulation d’une réunion de partenariat-pays de la BM avec la Tunisie, définissant les orientations stratégiques des engagements opérationnels à moyen terme (2023-2027), qui était prévue fin mars.
Ce n’est pas une annulation mais un report. Une réunion était prévue le 21 mars pour l’approbation de la nouvelle stratégie, mais comme je viens de le dire, le cadre de partenariat-pays est un document de programmation pluriannuel qui est préalable aux financements. C’est différent d’autres institutions qui ne peuvent pas fournir de financements sans la signature préalable d’un accord de programme ou de stratégie.
A vous entendre, à propos de l’actualité récente, le mieux serait de ne pas réagir à chaud, le temps que les esprits se calment.
Exactement. On a estimé qu’il fallait d’abord rappeler nos principes et rassurer nos employés, ensuite clarifier publiquement les malentendus, et je vous remercie d’y contribuer avec cet entretien, tout en poursuivant nos activités en Tunisie, et enfin de laisser les esprits s’apaiser avant de revenir sereinement aux discussions sur le cadre de partenariat-pays.
La suite de l’interview est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 865 du 15 au 29 mars 2023