De mémoire d’homme, on n’a jamais vu un mois de mars entier sans une goutte d’eau. Un ciel désespérément bleu et, de temps à autre, quelques nuages viennent nous narguer avant de disparaître. Voilà ce qui a marqué le mois le plus important pour les cultures céréalières et maraichères. En un mot, le plus vital pour notre sécurité alimentaire est menacé par le changement climatique.
De mémoire d’homme aussi, le niveau de remplissage de nos barrages n’a jamais été aussi bas. Les experts s’inquiètent et nous mettent en garde que l’été prochain sera le plus dur en termes d’approvisionnement en eau. Pas seulement pour l’agriculture et le tourisme, mais aussi pour les ménages. Ils exhortent les autorités à décréter l’état d’urgence et à procéder sans attendre au rationnement de l’eau. En effet, la Tunisie fait partie des dizaines de pays extrêmement vulnérables au changement climatique. L’un des paradoxes les plus dramatiques de notre temps est que les pays qui contribuent le moins au réchauffement climatique sont ceux qui sont les plus affectés par ses conséquences.
Amplification du réchauffement climatique pendant le dernier tiers de siècle
En dépit de sa gravité, la lutte contre ce phénomène s’est réduite depuis 1992 (premier sommet sur le climat à Rio de Janeiro) jusqu’à ce jour à des mises en garde d’experts, à des forums stériles sur le sauvetage de la planète, ou encore à des publications annuelles des travaux de recherche d’instances spécialisées, ne suscitant guère l’intérêt ni du grand public ni des grands acteurs internationaux…
La dernière sonnette d’alarme a été tirée par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dont le rapport, tout aussi alarmant que les précédents, a été publié le 20 mars 2023. Encore une fois, nous avons eu droit à un recueil technique de chiffres, de graphiques, de résultats de recherche et d’exhortations aux dirigeants mondiaux sur le fait que le changement climatique est réel et dangereux.
On sait que plus d’un siècle de combustion de matières fossiles (pétrole, gaz et charbon) a entraîné une élévation de la température de 1,1 °C par rapport à la période préindustrielle. Ce réchauffement se traduit par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes (tempêtes, ouragans, cyclones, incendies de forêts, sécheresses, inondations, vagues de chaleur, augmentation du niveau moyen mondial de la mer, acidification et désoxygénation accrues des océans)…
Trois pays et l’UE responsables de 62 % des émissions de CO2
Selon l’Organisation « Global Carbon Project », près de 37 milliards de tonnes de dioxyde de carbone ont été lâchés dans l’atmosphère en 2022. Trois pays et l’Union européenne sont responsables d’environ 62 % des émissions de cette énorme quantité de CO2. L’Inde produit 8 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. La Chine est le plus grand pollueur avec 32 % des émissions, l’Amérique 14 % et l’Union européenne 8 %.
Comment se fait-il que malgré les mises en garde adressées depuis plus d’un tiers de siècle aux grands pollueurs, ceux-ci continuent de polluer la planète chaque année plus que la précédente? La réponse est simple : les défenseurs d’une planète saine ont prêché et continuent de prêcher dans le désert. Et les pollueurs, aujourd’hui comme hier, n’ont qu’un seul souci : la croissance économique à tout prix.
Avec la pagaille géostratégique actuelle et face à l’hostilité, l’inimitié et la rivalité entre les grandes puissances, il serait illusoire d’espérer une quelconque amélioration dans un avenir prévisible.
La guerre d’Ukraine est venue au mauvais moment divertir encore plus les principaux pollueurs des soucis liés au réchauffement climatique. L’Amérique et l’Union européenne ont tout l’argent qu’il faut pour faire prolonger la guerre jusqu’au dernier Ukrainien. Mais n’en ont pas pour sauver la planète et l’humanité des grands dangers climatiques qu’ils courent.
Les deux autres grands pollueurs, la Chine et l’Inde, qui comptent à eux seuls le tiers de l’humanité, ne reculent devant aucune source d’énergie, y compris les plus polluantes, pour assurer la croissance économique et répondre aux besoins de leur faramineuse population.
Des perspectives très sombres
La situation de l’humanité ressemble à celle de ce propriétaire dont la maison est en feu, mais qui fait semblant de ne pas voir le feu et de ne pas sentir la fumée. Quand le souci constant de l’écrasante majorité des habitants de la planète, y compris dans les pays riches et prospères, consiste à joindre les deux bouts, tout le reste devient secondaire.
Une aubaine pour les élites dirigeantes des grands pays pollueurs qui peuvent poursuivre leurs politiques désastreuses pour le système écologique planétaire sans rencontrer le moindre obstacle. C’est ainsi que l’Inde et la Chine continuent comme si de rien n’était d’exploiter à fond leurs mines de charbon. C’est ainsi que les Etats-Unis peuvent décider en toute sérénité de procéder à de nouvelles prospections pétrolières en Alaska.
Les perspectives sont très sombres pour une planète qui voit son système écologique se détraquer chaque jour un peu plus. Un improbable miracle est le seul moyen qui nous reste pour éviter le suicide collectif vers lequel nous fonçons. Mais comme il n’y a pas de miracle, la question obsédante demeure : qui arrêtera la marche vers le suicide collectif?