Les coupures nocturnes de l’eau potable dans le Grand-Tunis, mais également dans certaines agglomérations à forte densité urbaine, soi-disant pour maintenance, cachent la volonté des pouvoirs publics de restreindre l’usage de l’eau courante, une denrée devenue rare.
C’est ainsi un secret de Polichinelle que les coupures d’eau, sans préavis, deviennent monnaie courante. Surtout à partir de minuit et qu’elles touchent le Grand-Tunis, mais également d’autres grandes villes comme Sfax et Sousse.
Cause invoquée par la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE)? Des travaux de maintenance sur les réseaux de distribution. Mais le citoyen lambda sait parfaitement qu’il s’agit d’une politique d’Etat qui cache soigneusement son nom. En effet, l’eau du robinet est désormais rationalisée. Toutefois, les pouvoirs publics, toujours dans le déni et le manque de transparence, ne veulent pas donner l’impression qu’à la pénurie des produits alimentaires de base, s’ajoute le rationnement de l’eau courante.
Et que dire de l’été prochain, alors même que février et mars, traditionnellement les deux mois les plus pluvieux de l’année, ont été particulièrement secs ? A moins que la manne céleste n’ouvre ses vannes durant les deux prochains mois. Ou de revenir à la pratique des bidons et des sceaux et du garbeji. A l’instar de nos ancêtres qui s’approvisionnait jadis des puits ou des robinets publics.
Stress hydrique sans précédent
Alors autant appeler les choses par leur nom. Nonobstant la gérance défectueuse de l’Etat de ses ressources en eau, reconnaissons que la Tunisie est confrontée depuis des décennies à une situation de stress hydrique très aigüe. Et ce, pour deux raisons principales : primo, le déficit pluviométrique qui assèche par conséquent les barrages. Secundo, l’épuisement de la nappe phréatique, des réserves en eaux souterraines, à cause du pompage abusif des puits anarchiques. D’où les incessants appels lancés par des spécialistes aux pouvoirs publics pour qu’ils décrètent l’état de sécheresse. Lequel correspond officiellement à une situation où les pouvoirs publics sont contraints de limiter la consommation de l’eau et de trouver des ressources alternatives. Avant qu’il ne soit trop tard.
A ce propos, Abdallah Rabhi, un éminent expert en ressources en eau et ancien secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques, appelle à son tour à décréter l’état de sécheresse.
« La situation hydrique est très difficile et la rationalisation de l’usage de l’eau est une nécessité absolue. Depuis le début de l’année en cours, j’ai assuré qu’il fallait annoncer la sécheresse, notamment à cause de la baisse des précipitations. Ainsi, s’exprimait l’expert lors de son intervention lundi 27 mars 2023 dans l’émission Sbah al ward sur Shems FM.
« Je n’ai jamais vu une telle situation »
« Nous sommes face à une situation exceptionnelle », s’exclamait l’intervenant. De 2017 à 2020, le taux du remplissage du barrage de Sidi Salem était de 250 millions de m3 d’eau. Il n’en est aujourd’hui qu’à un peu plus de 96 millions de m3 d’eau. Sachant que le système hydraulique Sidi Salem regroupe plus de 18 barrages, alimente sept gouvernorats en eaux d’irrigation (Béja, Bizerte, Grand-Tunis et Nabeul) et fournit l’eau potable aux gouvernorats du Grand-Tunis, mais aussi de Nabeul, Sousse et Sfax.
Et de poursuivre : en 2019, le taux de remplissage de Sidi Salem était de 42 %; en 2018, il est passé à 32 %, puis à 40 % en 2021. Et les apports en eau ont atteint 326 millions de m3 d’eau depuis le début de l’année et jusqu’à la date d’aujourd’hui. Si l’on versait toute cette quantité dans le barrage de Sidi Salem, il ne serait pas rempli.
« De ma vie, je n’ai jamais vu une telle situation au niveau du taux de remplissage. Il s’agit d’un dérèglement climatique et depuis quatre ans nous sommes dans un état de sécheresse », a-t-il conclu.
En outre, l’ancien ministre rappelle à titre d’exemple, que suite à des températures record enregistrées l’été dernier en France, les autorités ont décrété le placement de certains départements en alerte sécheresse et la restriction de l’usage de l’eau. A l’instar de l’interdiction d’arroser le jardin durant les heures chaudes de la journée.
Qu’on nous prenne pour des adultes!
« En décrétant l’état de sécheresse, plaide-t-il, nos compatriotes changeront par la force des choses leur comportement en matière de gestion d’eau. Et ils prendront automatiquement conscience de la nécessité absolue d’adopter les gestes sobres, afin de préserver cette denrée de plus en plus rare ».
Et qu’en est-il des coupures d’eau nocturnes, en catimini, observées dans plusieurs gouvernorats, sans que les citoyens ne soient avertis à l’avance? L’ancien secrétaire d’État chargé des Ressources hydrauliques estime que la SONEDE « n’avait pas d’autre solution ».
Soit. A condition qu’on se débarrasse de la politique de l’opacité et de manque de transparence et qu’on finisse, enfin, par prendre les citoyens pour des adultes. Est-ce trop demander?