Comment expliquer que l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Egypte ou encore la Tunisie, des alliés traditionnels de Washington, ne soient pas de la fête. Alors qu’Israël, un pays soi-disant démocratique qui colonise et opprime un autre peuple, soit convié à participer à la deuxième édition du Sommet pour la démocratie? Deux poids, deux mesures.
Le signal est clair. Sur 121 pays conviés à la deuxième édition du Sommet pour la démocratie, une rencontre virtuelle organisée mercredi 29 et jeudi 30 mars par le président américain Joe Biden avec des représentants de tous les continents, la Tunisie a été pour la deuxième fois consécutive exclue de cette grande messe censée « promouvoir la démocratie dans le monde ».
Silence gêné et gênant
Maigre consolation pour notre égo national, l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Egypte, des alliés traditionnels de poids de Washington au Moyen-Orient, ont été également ignorés par l’administration américaine. Puisque leurs dirigeants sont accusés de dérives autoritaires et de bilans contestés en matière de droits humains.
Pourtant, Biden s’est rendu l’année dernière en Arabie saoudite et en Égypte pour participer à la COP27. Et il a même retissé des liens de travail avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.
N’empêche, cet événement est passé sous silence en Tunisie. Sauf que l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, Gordon Gray, a vendu la mèche.
La version de Gordon Gray
En effet, pourquoi la Tunisie a-t-elle été boudée par la Maison Blanche? Dans un article intitulé Support Civil Society in Tunisia et publié mardi 28 mars 2023 sur les colonnes de Newsweek, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Tunis de 2009 à 2012 et actuellement professeur à l’Ecole des affaires internationales de Penn State, expose sa propre version.
« A l’instar du mécontentement général généré par la répression, la corruption et la stagnation économique ayant abouti à la révolution qui a balayé le régime autoritaire de Ben Ali, une vague similaire de colère populaire contre la corruption aura amené le professeur de droit constitutionnel Kaïs Saïed au pouvoir en octobre 2019. Ces deux événements prouvent que la stabilité économique est essentielle pour une transition réussie vers la démocratie », explique-t-il.
Cependant, argumente l’ancien diplomate américain, « avec la flambée des taux d’inflation et la hausse du chômage, le pays est désormais incapable de payer ses importations et les pénuries de produits alimentaires de base sont devenues monnaie courante. Or, le président tunisien s’est montré jusqu’à présent imperméable à la gravité des défis économiques auxquels son pays est confronté ».
Et d’ajouter : « Alors que le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) prévoyait de discuter d’un prêt urgent de 1,9 milliard de dollars à la Tunisie en décembre dernier, le chef de l’Etat tunisien n’a pas signé, ni adopté publiquement cet accord, au grand désarroi des bailleurs de fonds ». Ceux-ci « craignent que le Président ne se rétracte, une fois le prêt alloué, à cause de l’impact forcement douloureux des réformes à venir sur la population ».
Et de conclure : « C’est pour l’ensemble de ces raisons, en plus de la dérive autoritaire de plus en plus manifeste du président Kaïs Saïed, que la Tunisie n’a pas reçu d’invitation au sommet 2021 pour la démocratie. De même qu’elle a été exclue de la liste des invités pour la deuxième réunion qui vient d’avoir lieu ».
A cet égard, notons que le Sommet de la démocratie voulu par la Maison Blanche se situe dans un contexte international où pour la dix-septième année consécutive, le think tank Freedom House enregistre dans son rapport annuel une dégradation de la démocratie dans le monde. A savoir qu’un plus grand nombre de pays est marqué par l’autoritarisme, une régression par rapport à ceux où l’état des libertés s’améliore.
Calculs géostratégiques
S’exprimant à l’occasion de l’ouverture du deuxième Sommet pour la démocratie, le chef de l’exécutif américain s’est engagé mercredi 29 mars à verser près de 700 millions de dollars. Cette enveloppe doit servir à promouvoir « la tenue d’élections justes et libres, la défense des droits humains et la liberté de la presse; ainsi que la lutte contre la corruption. Sans oublier les menaces posées par les nouvelles technologies, notamment les logiciels espions et le réseau TikTok ».
En outre, le locataire de la Maison Blanche précise que cette enveloppe s’ajoutera aux 400 millions débloqués lors du premier sommet de 2021. De plus, il appelle à l’unité des démocraties face à l’invasion russe en Ukraine et à la montée en puissance de la Chine.
N’est-il pas permis en fin de compte de soupçonner les arrière-pensées de Washington qui cherche de tout évidence à instrumenter cet événement planétaire en une machine de guerre diplomatique contre Pékin et Moscou?