La Tunisie sous le Président Kaïs Saïed semble tentée de diversifier ses partenariats et de se tourner vers ce qu’on appelle aujourd’hui l’axe Sino-Russe, ou plus largement les BRICS. Et ce, pour sortir de la crise, tout en se passant d’un accord avec le FMI. L’objectif serait de diversifier ses sources de financement en donnant un signal à ses partenaires traditionnels, Europe et Etats-Unis. Tout en se dégageant des conditionnalités liées à l’appui de ces pays.
Le sujet est abordé par un nombre croissant de personnes et nécessiterait d’être analysé à l’aune des réalités économiques, des rapports de force relatifs et du mode de fonctionnement de ces pays, la Chine en particulier, en matière d’aide publique au développement.
Le Poids des BRICS
Les BRICS, (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), totalisent à eux cinq un PIB de 27,3 trillions* de Dollars en 2022, soit 28,4 % du PIB Mondial. Dans le même temps les Etats-Unis ont un PIB de 25,3 trillions* de Dollars soit 26,4 % du PIB mondial et l’Union Européenne un PIB de 17 trillions* de Dollars, soit 17,8 % du PIB Mondial.
Au niveau des BRICS et sur ce PIB de 27,23 trillions* de dollars, la Chine réalise à elle seule un PIB de près de 20 trillions* de dollars, soit 73 % du PIB total des cinq pays.
Par ailleurs, et au niveau des populations, les BRICS totalisent une population de 3,266 Milliards de personnes soit 41 % de la population mondiale contre 4,2 % pour les Etats-Unis et 5,6 % pour l’Union Européenne.
Ainsi, et en termes de PIB par habitant, celui des BRICS est six fois plus faible que celui des Etats-Unis et de l’Union Européenne réunis. Donc, un habitant des Etats-Unis ou d’Europe produit, en moyenne, six fois plus qu’un habitant des BRICS. La Chine se classant aux alentours de la 80ème place mondiale en termes de PIB par habitant.
En dehors de la Chine, les pays constituant ce regroupement n’ont pas un réel poids économique dans le monde. Quand bien même ce regroupement serait élargi, (une douzaine de pays aurait manifesté leur intérêt à l’adhésion), cela ne changerait pas le poids économique mondial de ce regroupement.
Cela montre que les BRICS ne sont qu’une construction politique voulue par la Chine pour étendre son influence et encouragée par la Russie pour réduire son isolement politique et diplomatique. Sur le plan économique, la Chine a pour principal objectif de sécuriser ses approvisionnements en matières premières, hydrocarbures, bois et minerais nécessaires à son industrie.
Sans compter que ce regroupement ne dispose d’aucune structure effective ni d’aucune organisation de gestion des accords politiques et commerciaux entre les pays. Il s’agit uniquement d’une alliance qui tient des sommets annuels, mais où les relations restent gérées dans le cadre des accords bilatéraux. Tout en rappelant que les BRICS sont tous membres des institutions de Bretton Woods, du FMI et de l’OMC et donc soumis aux règles de ces organisations.
*soit 27 300 milliards de dollars
Aide publique au développement
La Chine fournit une extérieure sans conditions, en apparence, sur le principe d’égalité et d’avantages mutuels. L’aide au développement chinoise s’appuie essentiellement sur le financement de projets d’infrastructures, d’équipements publics et d’investissements dans les secteurs productifs, ainsi que l’exploration et l’exploitation de ressources naturelles.
Ces financements sont réalisés sous forme de projets clés en main réalisés par des entreprises chinoises fournissant des équipements d’origine chinoise couverts par des crédits octroyés par l’Exim Bank chinoise. Pour ce qui est des dons, ils concernent généralement la fourniture d’équipements liés aux secteurs de la santé, l’éducation ou encore l’agriculture dans le cadre d’actions d’urgence.
Les échanges de la Tunisie avec la Chine restent modestes, la Tunisie important pour moins de 7% de ses besoins de Chine et exportant pour 1,5 % des importations chinoises. Dans le même temps le déficit extérieur avec la Chine a atteint 8,5 MDT en 2022, contre 2,8 MDT en 2014.
Au niveau des Investissements Directs Etrangers, la Chine se place au deuxième rang mondial en matière d’investissements directs étrangers derrière les Etats-Unis. Toutefois ses investissements sont orientés en majorité vers l’Asie, près de 70 %, l’Afrique ne recueillant que 4 % de ces investissements essentiellement orientés vers les matières premières.
Quelles Pistes de Coopération avec la Chine et les BRICS
La Tunisie a depuis les années engagé une coopération avec la Chine qui a permis la réalisation de quelques projets d’infrastructures dont les plus marquants le Canal Medjerda, le centre culture d’El Menzah ou plus récemment le CHU de Sfax et l’Ecole Diplomatique. Cependant, la Tunisie n’a pas su ou pu attirer des investissements d’entreprises chinoises dans le secteur industriel de manière significative. Bien que la Tunisie, voulant s’inscrire dans le projet des nouvelles routes de la soie, ait envisagé plusieurs investissements chinois, dont le port de Zarzis et son parc d’activités économiques, un nouveau pont reliant Zarzis à Djerba et d’autres projets d’infrastructures dans les régions du Sud de la Tunisie. Mais aucune avancée n’a été enregistrée depuis cinq ans.
La Tunisie pourrait offrir un cadre intéressant pour l’industrie chinoise pour se rapprocher de certains bassins de consommation tels que l’Europe et l’Afrique. Toutefois pour atteindre cet objectif et attirer des investissements industriels chinois, il faudrait améliorer notre infrastructure logistique et être en capacité de supporter la dette concourant à son financement. Dans le même temps il s’agirait d’être attentif à la question de la conditionnalité puisque les investissements chinois supposent une dépendance à terme en équipements chinois.
« La Tunisie pourrait offrir un cadre intéressant pour l’industrie chinoise pour se rapprocher de certains bassins de consommation tels que l’Europe et l’Afrique… »
En deuxième lieu, la Tunisie pourrait attirer beaucoup plus de touristes chinois et russes Mais il s’agirait là-aussi d’investir dans notre capacité à les accueillir et de disposer d’une ligne régulière reliant Pékin à Tunis.
Toutefois, il ne faudrait pas compter sur la Chine pour bénéficier d’un appui budgétaire. Ce n’est pas sa philosophie de l’aide au développement. Ni sur les autres pays du BRICS qui sont plutôt des receveurs de l’aide au développement internationale et non des donateurs.
De même qu’il serait difficile d’envisager d’obtenir un prêt de la Chine pour s’approvisionner en matières premières auprès d’un autre pays. La Chine étant un importateur net de ces produits.
La décision de la Tunisie d’intégrer les BRICS serait donc un choix politique qui entraînerait des conséquences politiques et économiques dans les relations de la Tunisie avec le bloc occidental d’une part; et n’apporterait rien de concret dans la mesure où il s’agit d’une simple alliance, d’autre part.
Une coopération plus élargie avec la Chine ou la Russie serait une décision de diplomatie économique, dont les conséquences seraient gérables. Mais cela nécessiterait du temps et pourrait difficilement résoudre les problèmes budgétaires du moment de la Tunisie. Et en particulier le financement de ses approvisionnements.
Notons enfin qu’il n’existe pas de relations d’amitié entre les Etats; mais seulement des intérêts à défendre. Et seul un respect strict de cette règle pourrait sortir la Tunisie de la crise.
Par Walid BEL HADJ AMOR