Pour mieux comprendre les craintes exprimées dernièrement par l’Union européenne et les Etats-Unis quant aux risques de l’effondrement de l’économie tunisienne, nous nous sommes adressés à l’expert économique Ezzeddine Saidane.
S’il ne cache pas ses craintes, il ne pense pas moins qu’une porte de sortie existe. Un entrebâillement, tout au moins, celui du rééchelonnant de la dette extérieure. C’est une bouée de sauvetage à travers laquelle on pourra acheter du temps. Celui d’entamer les vraies réformes, seule solution pour sortir de la crise actuelle.
Le rééchelonnement de la dette serait donc la solution ?
Cela fait plus de six ans qu’on dit qu’il faut éviter cela à tout prix, que notre pays ne mérite pas de se trouver dans cette situation. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une situation de blocage. Je m’explique. Nos réserves de change sont en train de fondre, puisque le pays n’est plus capable de mobiliser des ressources extérieures. Par ailleurs et avec l’abaissement de la notation souveraine de la Tunisie, l’Etat ne peut plus mobiliser des ressources extérieures. De même et parallèlement à l’abaissement de la notation souveraine de notre pays, il y a eu une dégradation de la notation de quatre banques parce qu’elles ont trop prêté à l’Etat.
Donc, question : si l’Etat ne peut emprunter ni à l’extérieur ni à l’intérieur, la planche à billets, qui a fonctionné jusque-là, malgré le déni alors que les chiffres de la BCT prouvent la monétisation de la dette, ne pourra plus fonctionner. Même en tant que solution extrême et indésirable, cela devient quasiment impossible.
C’est donc un blocage qu’il faut briser. Malheureusement, le seul moyen de le briser aujourd’hui, c’est le recours au rééchelonnement de la dette extérieure. C’est, je pense, le début de la solution. Certes, il fallait l’éviter à tout prix, mais au point où nous en sommes, c’est probablement le seul moyen pour réduire la pression sur les finances publiques. Quelque part, il faut acheter du temps, en attendant un accord avec le FMI.
Sur ce point, je voudrais avancer une précision importante : même le rééchelonnement de la dette nécessite l’accord du FMI. Le Fonds doit procéder à une étude sur la soutenabilité de la dette tunisienne. Une étude qui peut conclure deux choses. Soit, le problème de la Tunisie est un problème de liquidité, ce que je pense personnellement, qui pourrait être résolu par un rééchelonnement de la dette. Soit, il faut aboutir à une autre conclusion, à savoir que même le rééchelonnement n’est pas suffisant. Il faut une réduction de la dette. C’était le cas du Soudan. On ne le souhaite pas à la Tunisie. Un pays qui arrive à ce stade est un pays qui sera marginalisé.
En attendant, on sait que le gouvernement, pour boucler son budget, va s’orienter vers la fiscalité et les banques tunisiennes. Est-ce envisageable ?
S’orienter vers la fiscalité n’est pas envisageable. On est dans une situation limite, on ne peut plus augmenter la pression fiscale. Il faut savoir qu’on a, aujourd’hui, un taux de pression extrêmement élevé. Il est le plus élevé de l’Afrique et un des plus élevés dans le monde, surtout si on le compare avec la qualité des services publics. Concernant les banques tunisiennes, ma réponse est clairement non. La BCT elle-même ne peut plus se permettre de continuer à utiliser les banques pour souscrire à des Bons de trésor, même à court terme, et les refinancer par la planche à billets.
Vous avez fait partie de la Commission d’Abdelfattah Amor. Que pensez-vous aujourd’hui de la Commission nationale de conciliation pénale. Peut-elle réussir ?
Je pense que cela va être extrêmement difficile, pour deux raisons. D’abord, les conclusions de la Commission d’Abdelfattah Amor étaient valables en 2011. Le sont-elles encore aujourd’hui en 2023 ? La réponse est non. Il y a eu depuis énormément de changements. Donc, si on veut utiliser les conclusions de cette Commission, il faut les actualiser. Cela demande un travail énorme. Deuxième point : nos travaux se sont arrêtés au 14 janvier 2011. Qu’en est-il de tout ce qui s’est passé depuis pour éviter de faire deux poids, deux mesures ? Le même travail devrait se faire pour cette période et là aussi, c’est un travail extrêmement difficile et complexe. Enfin, il ne faut pas oublier une chose importante. Même si ce travail apporte des ressources au budget de l’Etat, ce seront des ressources en dinar. Or, le défi de la Tunisie, aujourd’hui, porte sur les ressources en devise.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 866 du 29 mars au 12 avril 2023