On a longtemps cherché à nous faire croire à l’impartialité du FMI. Il s’érigeait en maître absolu de la rigueur en se drapant des habits du père de la vertu.
On redoute ses exigences et sa thérapie, une véritable médication de cheval, mais on s’y résout par crainte du naufrage financier. On y consent, contraint et forcé, sans autre bouée de sauvetage à l’horizon. Le FMI ne choisit pas ses malades ; ils viennent vers lui, souvent à un stade assez avancé de la maladie. Il ne donnait pas à penser qu’il pratique des traitements de faveur. Tous logés à la même enseigne ? Pas si évident. Pilules amères pour les uns, drogue douce pour les moins récalcitrants. Et jusqu’au refus de porter assistance à un pays en danger au motif – en apparence tout au moins – que le programme de réformes en question n’entre pas dans le moule du prêt-à-porter et du prêt-à-penser du FMI.
Les raisons invoquées ne sont que la partie visible de l’iceberg et ne résistent pas toujours à la complexité de la réalité géopolitique. Tout peut arriver quand le patient amoindri n’est pas en odeur de sainteté avec les puissances qui régissent et supervisent les organes et les rouages de l’économie mondiale. Le FMI n’en serait que le bras séculier. Il est aux ordres de ceux-là mêmes qui nomment et contrôlent son Conseil d’administration. Ils en ont fait un instrument de domination auquel se soumettent de leur plein gré les principaux créanciers de la planète, où qu’ils furent et quels qu’ils soient. Le mythe ou la fiction des pays frères et amis a volé en éclats et ne vaut pas un clou. Notre stock d’amitié et de solidarité déborde, sans que l’on ne voit rien venir qui puisse redonner vie à nos finances publiques. Les pétromonarchies du Golfe et pas qu’elles, n’ont pas vu monter la fumée blanche, le signal qui donnerait le coup d’envoi de leur engagement effectif financier. Elles se barricadent derrière le paravent des réformes pour brouiller le jeu d’influence de l’hyperpuissance mondiale et de ses principaux alliés occidentaux. Deux années d’intenses discussions avec le FMI et à l’arrivée, un programme de réformes structurelles audacieux et des plus aboutis, alors que le pays traverse une terrible zone de turbulences. La Tunisie ne pouvait en la matière aller plus loin ni manifester une plus grande volonté de réformes, en l’occurrence celles de l’État, des entreprises publiques, de la fiscalité et de la Caisse générale de compensation (CGC). Tout cela n’aurait pas suffi pour arracher un accord qui mettait fin à notre calvaire en ouvrant les cordons de la bourse des bailleurs de fonds : marchés, pays et institutions internationales. Le prêt du FMI – somme toute très modeste : 1,9 milliard de dollars sur 4 ans – n’est que le premier pas pour amorcer la pompe des crédits extérieurs sans lesquels le pays ne peut aller jusqu’au bout de ses engagements de réformes, aussi coûteuses que douloureuses. On ne peut reprocher au gouvernement une certaine passivité à ce niveau, alors qu’il a pris un énorme risque en heurtant la Centrale ouvrière au sujet de la libéralisation déjà amorcée des prix du carburant, de la contraction déjà effective de la masse salariale de la Fonction publique et de la récente levée du dernier tabou du désengagement de l’État de la sphère productive concurrentielle. Que faut-il de plus pour convaincre l’état major du FMI du bien-fondé de notre volonté d’aller au terme de ces réformes ? A cette précision près qu’il serait beaucoup plus facile de les engager à marée haute, dans une relative sérénité financière, qu’à marée basse, sans voie navigable, au milieu de marasme économique et de tensions sociales qui menacent de conflagration générale et « d’effondrement total ». De réels dangers qui sont aujourd’hui l’objet d’inquiétudes et de préoccupations occidentales, du reste assez troubles.
« Le FMI ne serait plus ce qu’il prétend être »
La sagesse, la raison voudraient que si le FMI voulait nous aider à sortir de l’ornière, il se devrait de nous accompagner dans la réalisation de ces réformes, en fluidifiant le système en mal de liquidité, sinon cela reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs… De quoi douter des prétendus motifs du refus du FMI lors de son CA le 19 décembre dernier, alors qu’on donnait cet accord pour acquis. Cela tient moins à la pertinence du programme des réformes qu’à des considérations géopolitiques, les seules décisives en l’espèce. Sinon, comment expliquer – phénomène inédit – la promptitude avec laquelle le FMI vient d’accorder un crédit de 15,6 milliards de dollars à l’Ukraine en guerre ? Une valse à deux temps, étalée sur 4 années. La 1ère tranche, dans l’immédiat, servira au titre de l’appui à la stabilité budgétaire, commerciale et celle des prix. La seconde concerne la phase de reconstruction et de stabilité macroéconomique d’un pays exsangue, dévasté par la guerre. Inédit à plus d’un titre. Le FMI ne serait plus ce qu’il prétend être : le pompier de toute la planète, exigeant et soucieux de ses sous. Jamais, dans son histoire, il ne s’est engagé sur un tel montant et de surcroît au profit d’un pays en guerre, soutenu par une vaste coalition brandissant l’étendard de l’OTAN sous commandement américain. Sans le moindre indice d’un quelconque programme de réformes, comme s’il s’agissait d’un but de guerre. Inédit aussi parce que l’institution de Bretton Woods outrepasse son statut et son rôle de garantir la solvabilité des pays et d’empêcher l’éclatement de crise financière. Elle élargit son champ de compétence à la reconstruction et au développement de l’Ukraine. Et ce n’est pas en vouloir à l’Ukraine que de s’indigner de ce genre d’hypocrisie.
Le voile est tombé : le FMI s’inscrit davantage dans une séquence géopolitique et partisane, loin en tout cas de toute considération programmatique.
Ceux qui chez nous font mine de l’ignorer en sont pour leurs frais. Ils doivent reconsidérer leur grille de lecture et d’interprétation. Sans de telles considérations, l’accord Tunisie-FMI aurait été bouclé en son temps et en son heure. Cherchez l’erreur, la faute et l’origine de ce désaccord. Il est hautement probable que le « véto » soit d’ordre géopolitique et géostratégique. Les commanditaires ne font pas mystère de leur malaise et de leur désapprobation de la conduite politique du pays. Ce sont pourtant ces mêmes puissances qui nous disent et répètent à satiété, à raison d’ailleurs, que seul un accord avec le FMI peut nous éviter « un effondrement imminent » économique, social et politique. De cela tout au moins, le gouvernement en est si conscient qu’il n’envisage même pas pour le moment de plan B qui ne serait pas loin du scénario catastrophe. L’État, avec toutes ses composantes, n’aura aucune peine à décrypter le message.
Le FMI est un passage obligé, incontournable pour la survie du pays. Ce n’est pas faire fi de notre souveraineté que de signer un tel accord. Au contraire, celle-ci sortira renforcée, sachant que sur le programme des réformes, il y a peu à dire quant à sa crédibilité. Autant dire que la balle est désormais dans le camp du principal architecte de la politique nationale. Il n’a pas beaucoup d’options et très peu de temps pour convaincre de sa volonté de mobiliser, fédérer, rassembler, ressouder et unir sous un même toit toutes les forces vives de la nation. C’est cette image d’un pays apaisé, rassuré et rassurant que voudraient voir ceux dont il faut préserver, sinon conquérir de nouveau, la sympathie. C’est aussi par eux que la prospérité ou l’effondrement arrive.
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 866 du 29 mars au 12 avril 2023