Intrigues, complots, trahisons, espionnite, ingérences de puissances étrangères, manigances de forces occultes… Des nuages sombres s’accumulant dans le ciel tunisien, visions apocalyptiques, qui hantent nos nuits. Ce sont du moins les impressions qui se dégagent de la blogosphère des internautes tunisiens. S’ajoutant à cela l’incapacité chronique des médias, public et privé, à moduler cette vision cauchemardesque. Car eux aussi sont pour la plupart atteints par le virus mortel du buzz, surtout en politique.
Pourtant l’affaire est d’une simplicité biblique. Le Président de la République a-t-il été malade durant quelques jours? Une réponse officielle par un oui ou par un non aurait suffit! Mais voilà, c’était sans compter sur la tendance générale des Tunisiens à monter tout en épingle et à crier tout le temps au scandale là où il n’y en a pas. L’absence de réponse par un officiel a été aggravée par la non réponse du ministre de la Santé à une question assassine, posée par un journaliste qui a tenté de faire son devoir.
Une opposition qui tombe dans le piège
Quelques heures avant que le Président de la République n’apparaisse sur les écrans avec la première ministre, en apparence en pleine forme physique, pour attaquer d’une façon on ne peut plus virulente « ceux qui propagent l’idée d’une vacance du pouvoir », un des leaders de l’opposition qui se dit « salutaire » a improvisé une conférence de presse pour annoncer que selon « ses sources sûres », le Président aurait subi une grave attaque cardiaque, qui pourrait l’empêcher de continuer sa mission à la tête de l’Etat.
Evidement, il n’a pas cité ses sources, sans qu’il soit pour autant journaliste, sachant qu’un homme politique doit obligatoirement donner des preuves irréfutables quand il s’agit d’une affaire aussi grave. Et ceci indépendamment du fait que l’information soit juste ou fausse. S’il est de son droit d’exiger que le gouvernement éclaire l’opinion publique sur l’état de santé du Président, il n’avait nullement le droit de prendre comme argument, le « refus de répondre » du ministre de la Santé pour affirmer que le Président était gravement malade et qu’il fallait commencer à « discuter » de son remplacement.
Il est clair que ce leader de l’opposition succombe lui aussi à la tentation de glaner l’information sur les pages d’intox et les officines plus que douteuses sur internet. Qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, là n’est pas la question.
Ainsi, on peut reprocher aux services gouvernementaux de ne pas avoir communiqué à temps sur l’état de santé du Président de la République et leur reprocher d’avoir failli à leur devoir. Mais on n’a nullement le droit d’affirmer sans preuve une information aussi grave de conséquences.
Il existe aussi chez les hommes politiques un âge de sénilité politique, qui n’est défini par aucune loi; mais qu’en général la famille politique ou naturelle prend en charge, en attirant l’attention de l’intéressé. Dans n’importe quelle démocratie du monde, une telle bourde aurait amené l’intéressé à démissionner et à faire des excuses publiques. Mais en Tunisie un chef politique ne se trompe jamais!
« Il est clair que ce leader de l’opposition succombe lui aussi à la tentation de glaner l’information sur les pages d’intox et les officines plus que douteuses sur internet »
Toujours est-t-il que, quelques heures plus tard, le Président de la République s’est donné à cœur joie d’attaquer avec virulence ses adversaires. Lesquels n’ont fait qu’alimenter d’avantage l’effervescence des accusations et des contre-accusations des deux parties. Alors que la Tunisie a plus que jamais besoin d’un débat serein, vu la gravité de la situation économique et sociale.
A tel point qu’on se demande si on n’est pas devant le scénario d’une manipulation de grande envergure. Celle-ci aurait servi à détourner l’attention de l’opinion de la question fondamentale que posent tous nos partenaires : est-on au bord de l’effondrement?
En fait, la maladie du Président de la République, effective ou imaginaire, a toujours été un mystère depuis Bourguiba, en passant par Ben Ali, et même avec Marzouki qui, comme tout le monde le sait, a été deux fois interné dans des hôpitaux psychiatriques.
Sans parler de Ghannouchi atteint de la maladie de Parkinson et d’autres maux et qui avait continué à présider aux destinées du principal pouvoir à l’époque : le parlement. La maladie chez nous continue à être vécue comme un phénomène qu’on dissimule aux ennemis aussi bien qu’aux amis. C’est culturel, comme au Moyen-Age, la maladie serait due à une « punition divine », s’ajoute à cela aussi les enjeux du pouvoir.
Ce n’est pas propre aux présidents tunisiens que de vouloir entretenir le mutisme. Pompidou, le président français fut atteint d’une vraie maladie cardiaque que son entourage cacha à tout le monde, jusqu’à ce qu’il y succombât. Mitterrand, atteint du cancer de la prostate dés son premier septennat, a caché sa maladie pour pouvoir se représenter, avec toute la complicité des médias français; ainsi d’ailleurs que sa bigamie et sa Mazarine.
L’actuel président américain Biden serait atteint d’un Alzheimer ou une autre maladie de la mémoire qui atteint les vieux? Mais personne même parmi les opposants ne parle de « vacance », « choughour ».
C’est la preuve que notre société politique est surtout malade de pouvoir et qu’elle est encore loin de s’élever aux rangs des critères de la maturité politique qui est indispensable pour toute démocratie.
La tentation répressive
Les indiscrétions sur l’état de santé du Président ont commencé à apparaître sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, sous forme de statuts « confidentiels » écrits et diffusés par des internautes faisant allusion à une hospitalisation en urgence du premier magistrat. Des « porte-paroles » de la mouvance saïdiste, dont une fameuse avocate qui nous a habitués à des « confidentiels justice » souvent vérifiés par les arrestations qui s’en suivent. Parmi ces « confidentiels » ceux qui sont relatifs aux trois affaires de complot contre l’Etat.
Comment dès lors ne pas la croire quand elle diffuse des infos sur la santé du Président? Comment ne pas comprendre que les « ennemis » de KS ne se saisissent de cette aubaine pour diffuser à large échelle ce qui leur permet d’entrer dans un délire incroyable, comme si le ciel avait entendu leurs « prières »? Un professeur de droit qui figurait dans la commission rédaction de la constitution a même commencé à échafauder des théories sur la future transition. Sachant qu’il avait auparavant changé de camp politique? A se demander si la supposée intelligentsia tunisienne n’a pas été atteinte de folie, comme l’a crié KS lui-même?
Crimes et châtiments
Mais la grande bévue dans cette affaire a été lorsqu’une partie de l’opposition, sauf le parti de Abir Moussi, a cru ce qu’a publié une officine proche des renseignements d’un pays ami. Laquelle affirmait que selon ses sources (sic !!), le Président aurait été victime d’une « crise cardiaque et qu’il était hospitalisé d’urgence à l’hôpital militaire ».
Sa source? Une page d’intox tunisienne connue pour diffuser un tissu de mensonges, comme il en existe actuellement des centaines! Et pour confirmer l’information, une obscure agence de presse italienne, cette fois-ci, confirme et donne même la date de la « réapparition » du Président! Sachant que ni Reuters, ni l’Afp, et encore moins une agence sérieuse n’a publié quoi que ce soit sur cette affaire!
Devant cette déferlante d’infos non vérifiées et le silence du gouvernement tunisien, ce qui était un chuchotement via facebook est devenu une rumeur persistante. Et ce, avant de se transformer en une « information » virale qui va tenir lieu de vérité absolue, du moins pour le « Front du Salut ». Lequel, en voulant exploiter politiquement l’affaire, s’est rué dans les brancards. Triste image d’une classe politique qui ne mérite plus ce nom.
Après l’apparition de KS, manifestement en forme, qui ne dément pas l’information qu’il avait été malade pour trois jours, tout en rejetant ironiquement celle qui avait évoqué une crise cardiaque, l’affaire aurait pu s’arrêter là. Sauf que juste quelques heures après, le Parquet annonce qu’il va poursuivre tous ceux qui ont diffusé cette « fausse nouvelle » à travers des blogs, des pages Fb, des sites, radios, télévisions.
Le nombre logiquement des accusés doit donc se chiffrer par milliers. Pourquoi créer une nouvelle affaire, alors que la responsabilité gouvernementale dans la rétention de l’information est prouvée? On veut punir les « pêcheurs en eaux troubles », mais on n’a rien fait pour calmer les eaux!
Au final, le nouveau décret liberticide va-t-il être appliqué à des centaines, voire des milliers d’internautes; sans parler des journalistes qui ont eu l’outrecuidance d’évoquer cette affaire? Une fuite en avant qui ne fait que rendre la situation incontrôlable. Mais à qui cela profite-t-il?