Kaïs Saïed était en visite à Monastir, hier jeudi 6 avril 2023, à l’occasion de la commémoration du 23ème anniversaire du décès du Combattant suprême. A cette occasion, il lâchait une bombe. Et ce, en proclamant haut et fort son refus de cautionner un éventuel accord avec le FMI.
Kaïs Saïed rendait tout d’abord un hommage appuyé au « Père de la Nation ». Puis, le président de la République rappelait le rôle historique de Bourguiba dans l’accession à l’indépendance et l’édification de l’Etat moderne. Notamment par la généralisation de l’éducation, la gratuité de la santé et l’élaboration du Code du statut personnel. Notant à cet égard que « contrairement à certains qui veulent tirer leur légitimité de son immense héritage, Bourguiba refusa toute sa vie l’ingérence étrangère. Ainsi, il ne céda pas un iota du territoire tunisien, en dépit des tentations de l’époque ».
« La Tunisie n’est pas à vendre »
« La Tunisie n’est pas une province et n’accepte pas l’ingérence des consuls étrangers. Le pays n’est pas à vendre ». Ainsi, s’écriait-il hier jeudi 6 avril 2023, lors de sa visite à Monastir. Et ce, à l’occasion de la commémoration du 23ème anniversaire du décès du Combattant suprême, Habib Bourguiba.
Une doxa qui n’est pas négociable et qui fait l’unanimité. Sauf que, interrogé par des journalistes qui attendaient depuis 6 heures du matin son arrivée au mausolée, sur la question de savoir s’il avait l’intention d’apposer sa signature sur l’éventuel accord avec le FMI, l’illustre visiteur lâcha une retentissante information à l’effet d’une bombe. Puisque Kaïs Saïed déclara : « La Tunisie est un pays souverain. Elle refuse que quiconque lui dicte ses choix et n’accepte pas les injonctions inacceptables qui viennent de l’étranger ». Fort bien, mais y a-t-il une autre alternative ou un plan B? « Il faudrait que l’on compte sur nous-mêmes », répliquait le Président, altier.
« La paix civile n’est pas un jeu »
Puis il s’est remémoré des douloureux évènements de janvier 1984, où le sang coula. Et ce, suite aux décisions prises à l’époque par l’ancien Premier ministre feu, Mohamed Mzali, de lever les subventions sur le pain et les pâtes. Ainsi, le Président estime que les expériences et études comparées démontrent « qu’il y a des moyens autres que la levée de la subvention pour surmonter la crise actuelle ».
« Les bailleurs de fonds doivent respecter la volonté du peuple. La paix civile n’est pas un jeu. Et le monde devra comprendre que les hommes ne sont pas de simples chiffres. La paix sociale n’est pas un jeu », a-t-il encore asséné. Tout en invitant à l’occasion les pays étrangers à nous restituer « l’argent spolié par ceux qui ont pillé des sommes faramineuses et les ont transférées à l’étranger ».
Gare au double discours
Certes, il est légitime que le président de la République s’insurge contre le diktat des bailleurs de fonds. Et précisément l’institution financière de Bretton Woods qu’il taxe de « vouloir affamer son peuple ». Sachant que le traitement de cheval qu’elle impose aux pays demandeurs n’est pas à démontrer. Mais, autant le dire clairement et sans détours, en proclamant la rupture officielle des négociations avec le FMI. Surtout que le gouvernement Bouden, qui attend encore comme le Messie cette manne céleste pour boucler le budget 2023, ne sait plus sur quel pied danser.
Pour résumer, à contre courant des instances européennes à l’instar de l’Union européenne et des pays « amis », en l’occurrence l’Italie et la France et les Etats-Unis qui craignent « l’effondrement » de l’économie tunisienne dans les prochains mois si le prêt du FMI ne lui est pas accordé, Kaïs Saïed proclame haut et fort, depuis Monastir, qu’il rejette catégoriquement les conditions dictées par l’instance de Washington. Et notamment : la levée des compensations, une mesure ayant jadis déclenché les émeutes du pain en 1984; la privatisation des entreprises publiques; et une réduction drastique de la masse salariale dans la fonction publique. De même qu’il affirme que nous sommes capables, comme des grands, de dépasser la crise actuelle à la base de nos propres ressources. A condition que « tous les pays qui tiennent à nous aider nous restituent l’argent spolié ».
Vaste programme. Alors, par quel mécanisme le Président de la République entend-il récupérer les fonds spoliés estimés à quelque 13,5 milliards de dinars. Comme l’estimait le rapport approximatif de feu Abdelfattah Amor, rédigé en 2011? La commission ad-hoc créée le 20 mars 2022 et chargée de cette mission, et dont le président Makram Ben Mna fut récemment viré comme un malpropre, est-elle capable en un temps record de récupérer par magie les fonds spoliés qui croupissent ici et ailleurs dans les banques étrangères? Et ce, afin de combler le déficit budgétaire? Difficile à croire.