Taïeb Baccouche tente de présenter le grand leader Habib Bourguiba, suite à ses entretiens avec lui, à propos de la crise syndicale de 1978. Était-il en mesure de dégager les traits caractéristiques et les zones d’ombre de ce grand personnage? Jeune syndicaliste, universitaire, Taieb Baccouche ne pouvait vivre une proximité semblable à celle de Farhat Hached avec Bourguiba.
Fait important, Taïeb Baccouche tente d’analyser les mécanismes du pouvoir et les rapports de forces. Pouvait-on parler d’un « partage de rôle entre le Président Bourguiba et sa femme Wassila » ? (pp. 115-122). Elle a bien entendu joué un grand rôle auprès de son mari. Elle fut son soutien. Mais elle avait son salon, son favori Béji Caïd Essebsi et ses candidats, cités par l’auteur, entre autres Driss Guiga et Taha Belkhodja.
Très proche du premier ministre Mohamed Mzali, notre auteur décrit longuement son conflit avec la femme du président. Il évoque la destruction, par des ouvriers, sur décision de Wassila, de la plaque inaugurale de la cité olympique, portant une citation de Mohamed Mzali (p. 117). Tout en occultant les dérives du premier ministre, l’arabisation systématique et la pseudo authenticité, il reconnait sa grande erreur de l’augmentation du prix du pain, de la semoule et des macaronis, qui provoqua la révolte du pain (pp.169 et suivantes).
Le conflit entre Bourguiba et Habib Achour
Taïeb Baccouche accorde la priorité à l’analyse de la crise syndicale de 1978 et au conflit entre Habib Bourguiba et Habib Achour. En réalité, ce différend est fort ancien. En effet, Habib Achour avait organisé le congrès du Néo-Destour de Sfax, qui fit balancer la majorité en faveur de Bourguiba, contre Salah Ben Youssef, qui refusa d’y assister. Les syndicalistes rédigèrent alors le programme social du parti. Par la suite, le secrétaire général de l’UGTT, Ahmed Ben Salah, et les dirigeants Ahmed Tlili et Habib Achour, voulurent faire adhérer l’UGTT au parti, à l’instar du parti travailliste anglais. Ce que refusa Habib Bourguiba. Ainsi, Habib Achour déclara sa scission de l’UGTT, en créant l’UTT, sous l’impulsion du Néo-Destour. La réunification aurait eu lieu, sous la direction d’Ahmed Tlili, « sur arrangement de Bourguiba » (p. 93).
L’auteur s’attarde sur l’analyse du conflit qui opposa Habib Bourguiba à Habib Achour. Il fait valoir ses tentatives de défendre le leader syndicaliste et de mettre fin à son exclusion. En réalité, Taïeb Baccouche avait son propre jeu. Il était au courant de la décision prise par le bureau de l’UGTT d’écarter Habib Achour. Il crut devoir s’absenter à cette réunion, dont il approuvait les décisions.
Fait évident, M. Baccouche n’aurait pas saisi la gravité de l’islamisme. Car il critiqua le procès tenu contre eux (p. 90). Il aurait souhaité que le pouvoir apaise le conflit. D’autre part, tout en appréciant Habib Bourguiba, il le définit comme « un manœuvrier » (pp. 74 et 103). Peut-on considérer l’exercice du pouvoir comme des manœuvres?
Au final, le livre de Taïeb Baccouche est d’un apport incontestable. Au-delà de l’analyse de la crise sociale, il analyse des faits méconnus de l’histoire immédiate tunisienne.