Autres temps, autres horizons. Et si, tout en se passant d’un accord avec le FMI, le président de la République, Kaïs Saïed manœuvrait dans le but de diversifier ses partenariats classiques en s’ouvrant au large : les BRICS à titre d’exemple?
Si retentissante que fût la récente déclaration du président de la République Kaïs Saïed, il semble fort probable qu’en habile joueur de poker, il ait gardé une carte magique dans sa manche.
En effet, à la surprise générale et en marge de la commémoration du 23ème anniversaire du décès du Combattant suprême, le chef de l’Etat fustigea, jeudi 6 avril à Monastir, le « diktat inacceptable » du FMI. Lequel conduit selon lui « à la paupérisation des Tunisiens » et « menace la paix sociale qui n’est pas un jeu à prendre à la légère ».
« La Tunisie est un pays souverain. Elle refuse que quiconque lui dicte ses choix et n’accepte pas les injonctions inacceptables qui viennent de l’étranger » , martelait-il. Un terrible constat à quelques jours de l’ouverture des réunions de printemps du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Washington, le 10 avril.
Terrible dilemme
Pour rappel, la Tunisie endettée à environ 80 % de son PIB et à qu’il manque près de 24 milliards de dinars pour boucler le budget de l’année en cours, a obtenu un accord de principe du FMI à la mi-octobre ; et ce, pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars. Cependant, l’institution de Washington en conditionne l’octroi à des réformes douloureuses. Avec notamment la levée des compensations sur certains produits de base. Une mesure ayant jadis déclenché les « émeutes du pain » en 1984. Au nombre des réformes demandées également, la privatisation de certaines entreprises publiques boiteuses et lourdement endettées. Enfin, une réduction drastique de la masse salariale dans la fonction publique.
Confusion
Alors, il y a lieu de s’interroger : le discours présidentiel est-il destiné à caresser dans le sens du poil une opinion publique très hostile à la levée de compensations ? Dans un contexte d’une crise économique aigüe exacerbée par une inflation désormais à deux chiffres. Ou se dirige-t-on de facto vers une rupture définitive avec l’institution financière de Bretton Woods?
A moins que, pour Kaïs Saied, il ne s’agisse nullement de refuser le prêt du FMI, mais seulement ses injonctions. Nuance.
La confusion est totale, alors que quelques jours après le discours fracassant du Président à Monastir, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane El Abassi et le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saied, prennent part aux Réunions de printemps 2023 du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Sachant que les travaux démarrent lundi 10 avril, dans la capitale fédérale américaine, et s’achèvent le 16 avril 2023.
Comment la délégation tunisienne sera-t-elle reçue à Washington alors que l’agenda de la Tunisie est sur la table? Nos bailleurs de fonds traiteront-ils le dossier tunisien comme si de rien n’était alors que les propos présidentiels sont unanimement interprétés comme une rupture avec le FMI?
Et d’ailleurs, est-il concevable que Marouane El Abassi et Samir Saied aient fait le déplacement à Washington sans le feu vert et l’aval du chef de l’Etat en personne? Alors, double langage ou habile manœuvre pour faire monter les enchères afin de convaincre les chancelleries occidentales de sauver au plus vite le soldat Tunisie. Et ce, avant « l’effondrement » qui ouvrirait la porte aux « hordes » des immigrants clandestins vers les plages de Lampedusa? Allez comprendre quelque chose…
Regarder vers le large
A moins que le président de la République ne regarde vers d’autres horizons et ne soit tenté par une audacieuse sortie de secours : l’adhésion au bloc des économies émergentes des pays BRICS qui représente près de 42 % de la population de la planète et environ 25 % du PIB mondial.
Une idée fantaisiste? En effet, il est curieux de constater que le porte-parole du Mouvement national du 25-Juillet, Mahmoud Ben Mabrouk, affirmait que la Tunisie « déjà engagée dans la Route de la Soie- en 2018, la Tunisie a signé un accord pour adhérer à l’initiative « Belt and Road » mise en place par la Chine en 2013 (ndrl)- se tournera vers le groupe BRICS pour obtenir les financements nécessaires. Par conséquent, la Tunisie ne poursuivra pas ses efforts pour obtenir un prêt du Fonds monétaire international (FMI) ».
Ainsi, « les déclarations du président de la République à Monastir concernant le FMI se basent sur des données qui sont soutenues par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune ». C’est ce qu’il soutenait lors d’une déclaration accordée samedi 8 avril 2023 à Mosaïque Fm. Soulignant à l’occasion que la Tunisie a donné à l’Union européenne de nombreuses opportunités de la soutenir économiquement ; mais que cette dernière a fait la sourde oreille. « Ce qui a poussé la Tunisie à se diriger vers le groupe des BRICS pour obtenir des financements », poursuivait-il.
« La Tunisie résiliente et souveraine »
N’est-il pas curieux de constater que le site algérien Al-Watan-dz avait également évoqué le même sujet? Ainsi, dans un article intitulé « Une Tunisie résiliente et souveraine » et publié le 3 avril en cours, le média algérois s’interroge : « En proie à une dure crise économique, la Tunisie a-t-elle comme unique voie le recours au FMI?»
De prime abord, « ce pays nord-africain voisin a un potentiel de résilience inestimable. La Tunisie a déjà montré par le passé qu’elle a la capacité de résilience lui permettant de surmonter ses innombrables difficultés économiques qui la secouent de plein fouet. L’Algérie soutient la Tunisie dans ces moments difficiles. Les autorités tunisiennes refusent tout accord qui mettrait en péril la souveraineté du pays, mais aussi le rôle social de l’Etat ».
« Selon les médias tunisiens, ce pays fait face à des pressions étrangères pour l’inciter à signer un accord qui conditionne les crédits à un ajustement structurel. Lequel implique de fait la privatisation des entreprises publiques et le démantèlement des subventions sociales », poursuit l’auteur de l’article.
« La Tunisie va-t-elle opter pour d’autres sources de financement en sollicitant, par exemple, la New Development Bank (NDB), créée par les cinq pays du BRICS? Contrairement au FMI et à la Banque mondiale, les prêts proposés par cette institution financière supranationale ne sont pas assortis de conditions contraignantes à l’image du fameux ajustement structurel », ajoute-t-il.
Et de conclure : « Les BRICS ont aussi mis en place un fonds de réserve pour assister les pays en proie à des difficultés financières. Il y a également d’autres institutions similaires, à l’image de la nouvelle banque asiatique d’investissements en infrastructures lancée par la Chine. La Tunisie peut aussi trouver des financements en Afrique. »
Rappelons enfin qu’en novembre 2022, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov a déclaré que plus d’une douzaine de pays avaient officiellement demandé à rejoindre le groupe BRICS, après que le groupe a décidé d’autoriser de nouveaux membres à rejoindre le groupe plus tôt cette année.
M. Lavrov déclarait que l’Algérie, l’Argentine et l’Iran ont tous postulé. Mais on sait déjà que l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte et l’Afghanistan sont intéressés. Et si la Tunisie, avec la complicité de notre voisin algérien, sautait le pas?