La crise que connait la Tunisie, avec ses alliés traditionnels et les grands bailleurs de fonds internationaux, a provoqué un débat national non programmé sur l’opportunité qu’aurait notre pays à adhérer au BRICS. A savoir, un regroupement international, qui est loin d’être encore une organisation et qui est constitué actuellement par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.
Ce débat, il faut le dire, s’est imposé, comme une réaction aux difficultés qu’a notre pays à conclure un accord définitif de prêt avec le FMI, portant sur 1,9 milliard de dollars. En réalité une bagatelle qui pourrait, s’il est conclu, juste sortir la tête du pays de l’eau. L’intrusion de ce débat n’est donc nullement due à un besoin des élites politiques et intellectuelles de définir une nouvelle stratégie de positionnement sur la scène mondiale. Laquelle pourtant est d’autant plus justifiée, que toutes les lignes sont en train de bouger, suite à la guerre d’Ukraine. C’est surtout l’attitude ambigüe du chef de l’Etat vis-à-vis du FMI et des autres instances internationales qui pousse ses partisans à s’agiter sur les réseaux sociaux. Demandant ainsi que notre pays change totalement de cap, voire même de camp. Un débat donc fait en réalité de bric et de broc idéologique. D’ailleurs, il ressemble plus à un bricolage politico idéologique qu’à un débat sérieux qui va être déterminant pour l’avenir du pays. Pourtant il est bon de rafraîchir la mémoire de ces brickistes.
La Tunisie éternelle tournée vers l’Occident
Hannibal, quand il voulait que Carthage domine le monde au deuxième siècle avant J.C, s’est attaqué à Rome. Et ce, après avoir conquis le sud de l’Espagne et sans se préoccuper du sud, c’est-à-dire de l’Egypte post-pharaonique et orientale. Notre destin a depuis toujours été lié à la rive occidentale de la Méditerranée.
Même après la conquête arabe, les dynasties qui régnèrent appartenaient à cet occident arabe (al maghrib), hormis l’intermède turc. Avant que les Beys huseinites ne la rapprochent de la France, de l’Italie et de l’Angleterre, pour garder un maximum d’indépendance vis-à-vis de la Sublime Porte.
Puis, Bourguiba, le père du nationalisme tunisien, partant d’une lecture objective de notre histoire mais aussi du rapport des forces entre puissances après la Seconde guerre mondiale, a arrimé la jeune nation au camp occidental. Tout en nouant une alliance avec la France, l’ancien colonisateur. Après lui, la Tunisie sous Ben Ali a conclu le premier accord économique, d’un pays du sud avec l’Union Européenne.
Même après 2011, les islamistes, antioccidentaux par nature, furent contraints de garder ces choix, sans pour autant y croire. Car la Tunisie ne peut renier son destin imposé par sa situation stratégique en Méditerranée et son statut de pays tampon entre l’Occident et l’Orient.
Alors, BRICS ou pas BRICS, la Tunisie éternelle est occidentale pour les uns et orientale pour les autres, et tant mieux. Et la Tunisie réelle n’est pas prête, de part les intérêts qui la lient à l’Europe avec qui elle fait 80 % de ses échanges commerciaux, à faire un saut dans l’inconnu. Même si cet inconnu il est vrai constitue 41, 5 % de la population mondiale, 26,7 % de la superficie de la planète et participe à hauteur de 24 % à l’économie mondiale. Mais contrôle seulement 16 % du commerce mondial. De là, on comprend pourquoi ces pays trouvent que le système profite surtout aux pays les plus riches. C’est-à-dire aux pays du G7 et ils revendiquent donc une plus grande part du gâteau. Mais a-t-on réellement une chance d’y gouter?
Il est vrai cependant qu’on assiste à l’émergence d’une nouvelle force économique gigantesque et transcontinentale. Laquelle se constitue de pays émergents et de nouvelles puissances économiques comme la Chine et l’Inde. Mais cette force ne représente nullement, du moins pour le moment, une alternative au G7, à la Banque Mondiale, au FMI et surtout à l’OTAN. Ce dernier étant, ne l’oublions pas, notre allié stratégique, sans qu’on soit pour autant membre. Ce qui ne plait pas évidemment à notre voisin de l’Est.
La fracture idéologique
La Tunisie postindépendance a connu dès son départ une fracture idéologique au sein de son élite politique. En effet, lors de la période coloniale, le spectre idéologique tunisien était uni autour de la revendication indépendantiste. Et le parti destourien rassemblait en son sein des nationalistes tunisiens, arabes, des conservateurs panislamistes, des libéraux et même des communistes.
Mais une fracture se déclara dès la proclamation de l’indépendance interne, entre bourguibistes, favorables à un compromis avec l’ancienne puissance coloniale, et les youssefistes, prônant une guerre révolutionnaire contre la France. Ben Youssef avait assisté à la Conférence de Bandung en 1952, avec Nasser et Zhou Enlai (Chine) qui prônait la lutte sans compromis contre l’impérialisme occidental et une alliance stratégique avec l’Union Soviétique. Mais Bourguiba avait une autre idée du destin national et a fini par imposer sa stratégie d’alliance avec les USA notamment. Depuis les islamistes, les nationalistes arabes, la gauche marxiste, n’ont cessé d’appeler à rompre avec l’Occident impérialiste. Et donc avec toutes les institutions qui émanaient de cet ordre, dont la BM, et le FMI. Pourtant depuis l’indépendance, notre pays, y compris dans sa période socialisante et particulièrement collectiviste, n’a jamais rompu avec la Banque Mondiale qui a continué à financer tous nos plans de développement.
Alors quelle mouche a piqué les anti-impérialistes d’hier dont certains, comme les islamistes, sont soutenus actuellement par l’oncle Sam, à demander que la Tunisie change de camp?
Faut-t-il rappeler à ceux là que l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, membres du BRICS, sont les alliés de Washington et aussi membres du FMI et de la Banque Mondiale ? Serait-t-on plus royalistes que le roi? Et puis même si cette organisation a annoncé la création de la New Developpement Bank et du The Contingent Reserve arrangement, répliques asiatiques de la BM et du FMI. Comme tout organisme de prêt qui se respecte, ils ont aussi leurs conditions d’adhésion et d’emprunts. Un dicton tunisien dit : « Celui qui change une chevelure (une fille) par une autre chevelure, (goussa), les perdra toutes les deux ! » C’est le risque qu’encourt la Tunisie en quittant ses anciennes institutions, dont elle était bon élève pour un BRICS encore hypothétique.
Le vrai débat qui reste à faire
Mais alors que faire des déclarations anti FMI du Président de la République? Il faudrait les considérer plutôt comme une manifestation indépendantiste que l’annonce d’une véritable rupture. Ce qui pourrait inciter le bailleur de fonds à assouplir ses conditions. Sachant que le gouvernement continue ses négociations ; bien qu’il ait signé au mois d’octobre l’accord de principe. Sachant aussi que les pays européens, notamment l’Italie et la France, seront les premières victimes européennes, en cas de déstabilisation de la Tunisie. Et ce, non seulement à cause de l’immigration sauvage, mais aussi pour des questions de sécurité.
Toutefois, le débat sur l’éventualité d’une adhésion de notre pays au BRICS, qui fait fureur sur les réseaux sociaux, ne sert qu’à remplir une vide politique créé par nos gouvernants. En raison de leur incapacité à trouver une solution à la crise économique et surtout financière qui frappe le pays. Ce qui est remarquable chez nous, c’est qu’on soit pour ou contre le FMI en fonction de notre présence ou non au gouvernement ; et non en fonction d’un projet politique et économique auquel on adhère. Une preuve de l’opportunisme et de la médiocrité de cette classe politique qui vit en dehors de l’histoire et des enjeux réels de la planète. Une preuve éclatante également de son immaturité. Car elle en est encore à prendre des idéologies désuètes pour des vérités scientifiques.
Au final, un débat constitué de bric et de broc n’en est pas réellement un. Le seul débat qui mérite d’être abordé est comment en finir avec cet amateurisme charrié par une « révolution » qui n’en était pas une. Comment alors s’étonner de ce grand gâchis?