Durant ces dix dernières années, la chirurgie esthétique n’est plus un sujet tabou. Parmi les opérations les plus courantes : la greffe capillaire, la rhinoplastie ou le lipofilling. Une pratique de plus en plus courante non seulement en Tunisie, mais un peu partout dans le monde. Et dont le coût reste par contre une question taboue.
Pour cette raison, nous avons voulu connaître un peu plus ce secteur. Combien d’opérations de chirurgie plastique se déroulent-elles en Tunisie ? Quelle clinique choisir ? Décryptage de la tendance du tourisme médical.
Une tendance de plus en plus à la mode
Le tourisme médical en Tunisie est devenu « tendance ». « Entre liposuccion, lifting du ventre, chirurgie mammaire, rhinoplastie, augmentation des fesses, abdominoplastie, près d’un million deux cent mille actes d’interventions de chirurgie esthétique ont eu lieu en 2019 ». C’est ce que révèle le Dr Borhane Belkhiria, chirurgien plasticien depuis plus de 25 ans.
Plus de 800 mille personnes se font opérer chaque année dans le pays, notamment pour l’année 2019 qui est l’année de référence avant la Covid, dont l’impact s’est poursuivi en 2022.
Au-delà de la crise de Covid-19, la chirurgie esthétique a connu une évolution remarquable qui est en partie due aux chirurgiens hautement qualifiés et expérimentés ; ainsi qu’aux services et prestations sur mesure. La Tunisie occupe l’une des premières places parmi les pays les plus attractifs au monde sur le marché de la chirurgie esthétique.
Quelles sont les nationalités qui choisissent la Tunisie ?
Ce sont les pays européens qui sont les premiers clients, en particulier les Français qui se rendent en Tunisie pour avoir recours à une chirurgie esthétique. Plus encore, ils en font la promotion sur leurs différents réseaux sociaux. C’est dire à quel point les résultats sont satisfaisants. Puis viennent les Belges, les Suisses et enfin les Italiens. Plusieurs Tunisiens avouent avoir recours eux aussi à des actes de chirurgie esthétique.
La Tunisie est devenue depuis quelques années un eldorado du secteur, une véritable plaque tournante. Alors qu’il fut un temps, bien avant 2010, où la cible était les cinq millions de Maghrébins vivant à l’étranger. Mais depuis, tout a évolué…
Ce qui veut dire que la demande est exponentielle. Car tout le monde veut être beau, nous souligne le Dr Belkhiria. Tout en ajoutant que bien avant l’explosion des réseaux sociaux, Instagram et Fb, la clientèle venait à travers des agences de tourisme médical.
Quel est l’avenir de la chirurgie esthétique ?
Elle a de beaux jours devant elle tant qu’il y aura des femmes qui veulent être plus florissantes. Il y a des hommes qui ont également recours à la chirurgie esthétique comme la greffe des cheveux, ou la chirurgie intime comme la pénoplastie.
Qu’en est-il sur le plan déontologique ? Nazih Zghal, ancien secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des médecins, souligne que les enjeux de la publicité en médecine et chirurgie esthétique sont de taille.
En effet, la publicité est interdite en médecine. Mais il faut faire face à la concurrence internationale, et ce, dans la mesure où les concurrents n’ont pas ce handicap de déontologie. Alors, les médecins et les chirurgiens esthétiques se trouvent dans un dilemme entre le respect des textes législatifs nationaux et les pratiques du marché international dans lequel ils opèrent. Ramenant ainsi une manne en devises qui est en principe prise en compte dans la balance économique. Car il s’agit d’un service exporté rémunéré en devises.
Au final, qu’est-ce qui prime? Le respect du texte législatif ou la balance économique?
Or, le code de déontologie médicale est clair. A titre d’exemple, l’article 16 du Code de la déontologie médicale stipule que « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Tous les procédés directs ou indirects de propagande et de publicité sont interdits aux médecins. Sont également interdites les manifestations spectaculaires touchant à la médecine et n’ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif ».
Il en va de même de l’article 45 sur le forfait d’honoraires pour la durée d’un traitement qui est interdit. Sauf pour les cas prévus par la législation et la réglementation en vigueur. Le forfait pour l’efficacité d’un traitement est interdit en toutes circonstances. Car, la médecine des actes en général ne doit pas être intégrée dans un forfait.
Tout cela pour dire que contrairement aux différents actes médicaux et chirurgicaux, les actes de la chirurgie plastique ne sont pas encadrés par la nomenclature. Et que les offres de chirurgie plastique répondent toutes par des forfaits proposés par les agences de tourisme médical.
Riadh El Fatmi, chirurgien esthétique
La chirurgie esthétique fait de nos jours couler beaucoup d’encre. Tandis que les uns ne jurent que par le botox et le bistouri, d’autres préfèrent le naturel. Cependant, il y a un volet dont on parle peu : les dangers de la chirurgie esthétique. Nous avons donc interviewé Dr El Fatmi, chirurgien esthétique, pour cette raison. Interview :
« Cela fait 20 ans qu’on fait du tourisme esthétique. Il y a quelqu’un qui est venu un jour recruter des patients de l’étranger pour les faire opérer en Tunisie. C’était un chirurgien esthétique. Ils ont commencé à faire des agences de tourisme esthétique. Ils prennent en charge un patient pour qu’il se fasse opérer tous frais compris. Les médecins tunisiens sont au moins aussi bien que les européens. On est beaucoup moins cher. Beaucoup d’étrangers viennent en Tunisie se faire opérer.
La Tunisie est toujours à la pointe en matière de technologie nécessaire au bon déroulement de la chirurgie esthétique.
La chirurgie esthétique est de la médecine et non pas du business. Il faut donc parfois refuser de faire des opérations. En effet, je dois évaluer l’état du patient et ainsi comprendre la faisabilité de la chirurgie. Il m’est arrivé de refuser d’opérer des patients parce que leurs attentes étaient surréalistes vu leur âge, leur point de départ ou parce qu’ils étaient mal en point sur le plan santé. Pour le côté psychologique, on ne peut malheureusement pas évaluer l’état psychologique de quelqu’un à travers des consultations sur internet. Parce qu’en fin de compte, on fait le diagnostic à distance. Quand le patient arrive au cabinet, on fait une réévaluation. Cependant, tout le travail a déjà été fait.
« La Tunisie est toujours à la pointe en matière de technologie nécessaire au bon déroulement de la chirurgie esthétique »
Par contre, si le patient semble « bizarre » ou « fragile », on essaye de le dissuader de se faire opérer. Mais, on refuse surtout les patients avec des maladies sous-jacentes, chroniques : diabète, hypertension, etc. Je n’opère pas non plus les personnes très âgées lorsqu’il s’agit d’opérations très compliquées.
Comme toute opération médicale, les problèmes de la chirurgie esthétique sont surtout liés à l’anesthésie, à la réanimation ou à la chirurgie elle-même. Il en résulte des saignements ou des infections. C’est très rare, mais c’est ce qui arrive le plus souvent lorsque l’opération se passe mal.
La chirurgie esthétique fait dorénavant partie des mœurs en Tunisie. C’est les réseaux sociaux et les filtres aussi. Les gens veulent ressembler aux filtres qu’ils préfèrent. Comme c’est accepté, ça fait boule de neige.
Je ne vois pas de problèmes si la chirurgie esthétique peut aider quelqu’un qui a un petit handicap ou un complexe. Pour les dérives de la chirurgie esthétique, il y a des patientes qui en demandent trop, et là on doit les arrêter. Souvent, elles sont déjà très bien avec le peu qu’elles ont fait. Elles veulent chercher, chercher et aller plus loin. Souvent, on arrive à une fausse image de soi et on ne peut plus s’arrêter. Exemple : une personne qui a des oreilles assez grandes et qui veut les rapetisser, rapetisser, jusqu’à ce que ça devienne ridicule. En fin de compte, elles ne seront jamais contentes. Il faut savoir leur dire non. Certains chirurgiens n’y arrivent pas».
Ghofrane Elmay, Nadia Dejoui et Cyrine Barbirou