Il ne fallait pas attendre les Européens ou les Américains pour se rendre compte et s’inquié- ter d’un éventuel effondrement de l’économie tunisienne. C’est ce que nous affirme M. Houssine Dimassi, ancien ministre des Finances. Pour lui, tous les indicateurs étaient au rouge depuis belle lurette et ce n’est pas un accord avec le FMI qui nous ouvrira les portes de la délivrance. Au contraire. Contre l’avis de tous, il souhaite l’échec de cet accord.
Pour l’ancien ministre des Finances qu’il a été et l’économiste qu’il est, un refus serait une « occasion en or » pour la Tunisie. L’occasion de se retrousser les manches et de compter sur soi-même. Colmater les brèches avec des prêts ne sauvera pas le bateau qui coule. Pour arriver à bon port, il faudra de vraies réformes. Pour cela, l’ancien ministre avance des recommandations qui pourraient, selon lui, nous donner le cap. Et ce sera sur le long terme. Pour ce qui est d’aujourd’hui, c’est perdu d’avance. Ce sera comme ramer à contre-courant. Le bateau ne fera que s’enfoncer encore plus, en refilant la patate chaude à qui suivra.
Il fallait, vous dites, changer de modèle économique. Comment voyez-vous ce nouveau modèle ? On parle aujourd’hui des entreprises citoyennes. Est-ce le bon choix ?
Lorsque j’évoque le changement de modèle économique, je ne parle pas de régime économique. Avec les entreprises citoyennes, on change de régime d’appropriation. Ce n’est pas une solution et je ne vois pas comment on pourra concrétiser de cette manière le change[1]ment de modèle.
Je pense sérieusement qu’il ne faut pas s’attarder sur ce sujet. Lorsque je parle de changement de modèle économique, je vise le modèle social de l’Etat, qui a été le nôtre jusque-là. Le changement doit s’opérer au niveau de l’engagement de l’Etat.
Le nouveau modèle dont je parle est un modèle où l’Etat se désengage totalement. Cela ne veut pas dire qu’il disparait. L’Etat peut toujours être un acteur économique, mais il doit d’abord assurer sa mission fondamentale, à savoir la régulation. Il doit être là pour réguler une économie libre, en prenant en considération les vraies capacités du pays.
Plus concrètement, pensez-vous que l’actuel gouvernement peut réellement entamer les réformes nécessaires ?
Pas du tout. Ce n’est pas que j’ai des griefs contre ce gouvernement. Je ne suis ni avec ni contre ce gouvernement. Ce que je pense, c’est qu’aucun gouvernement ne pourra mener de grandes réformes sans avoir comme soutien une grande force politique. Je pense qu’il ne sera pas facile de clarifier la situation et de demander des sacrifices sans un consensus politique, sans l’appui des grandes forces politiques du pays. Or, aujourd’hui, le constat est que le gouvernement ne dispose d’aucun soutien des grands partis politiques. C’est pour cela que j’affirme que si l’état actuel, sur le plan politique, perdure, on ne verra pas le bout du tunnel.
Sur un autre registre, ce qu’on connait de Houssine Dimassi, c’est qu’il n’a pas été toujours tendre avec l’UGTT. Pourquoi ?
Je ne suis ni dur ni tendre avec l’UGTT. Je dis tout simplement que si la Centrale ouvrière continue à prôner la même politique que celle menée depuis des décennies, à savoir obtenir l’augmentation des salaires mais avec un minimum de production, on n’ira pas loin. Avec cette logique, on ne fera que gonfler l’inflation et miner encore plus l’économie.
Aucun gouvernement, de n’importe quelle tendance politique, ne pourra satisfaire à cela. L’UGTT doit avoir conscience qu’il faut aller vers une trêve, une pause, une sorte d’amnistie, comme je l’ai expliqué plus haut. Une fois l’économie rétablie, elle pourra toujours revenir à son rôle initial. On accuse aussi l’UGTT de faire de la politique.
Les dirigeants de la Centrale syndicale sont aujourd’hui pris entre deux feux. Certains savent, quelque part, de par les revendications excessives tout au long de la dernière décennie, que l’on s’achemine vers la ruine de l’économie. Alors, pour satisfaire la base, qui fait toujours pression, ils ont changé de cap et ils font de la politique.
L’intégralité de l’interview est disponible dans le N° 867 de L’Economiste Maghrébin (du 12 au 26 avril 2023)