Le Président Kaïs Saïed a tranché en mettant définitivement les points sur les i. Exit l’accord Tunisie FMI, du moins dans sa configuration actuelle. La Tunisie, dira-t-il de son ton péremptoire, n’a pas à se soumettre au diktat des bailleurs de fonds qui porte atteinte à notre souveraineté nationale et met, de surcroît, en danger la paix sociale. On l’aura compris, la dignité d’un pays ne se monnaie pas. A condition, bien sûr, de se donner les moyens de cette ambition. Cette décision a le mérite de la clarté. Il arrive qu’on sorte de l’ambigüité à son avantage et pas toujours à ses dépens, si cela réussit à provoquer un électrochoc annonciateur d’un réveil national. Le feuilleton Tunisie-FMI a assez duré. Il a fini par exacerber les tensions et ajouter au cumul des difficultés du pays. L’examen de passage auquel il était soumis confine à l’humiliation. L’institution financière se comportait en maître et s’érigeait en donneur de leçons. Elle a abusé de son pouvoir, comme si elle s’adressait à un élève, sans la moindre attribution. Sa conduite à notre égard, faite d’un mélange d’arbitraire et d’arrogance, même si elle est dans son rôle, ne pouvait convenir à un État qui a fait de sa souveraineté sa principale vertu cardinale. Le camouflet que le FMI nous a infligé le 19 décembre 2022 était de trop. Le pays ne méritait pas un tel affront, alors que le programme gouvernemental affichait une réelle volonté réformatrice.
L’intransigeance du FMI est inacceptable
La caution de la cheffe du gouvernement, bien dans son rôle et ses attributions, aurait dû suffire pour nous éviter un tel désagrément. L’intransigeance du FMI est inacceptable. Elle est économiquement et moralement sujette à caution, sinon condamnable. Ses prescriptions, sans être étalées dans le temps, achèveront le malade avant même d’éradiquer la maladie. Le gouvernement tunisien, qui hérite d’une véritable bombe à retardement et évolue sur un champ de mines, est moins enclin à anticiper qu’à arbitrer et doser. Il doit se garder de s’affranchir du sacro-saint principe de précaution, au risque de provoquer l’irréparable. Il doit veiller au maintien d’équilibres sociaux pour pouvoir s’aménager une voie de sortie de crise. Le redressement de l’économie, la cohésion et la paix sociale sont à ce prix.
Retour donc à la case départ, faute d’un accord avec le FMI. Nos alliés du Nord autant que d’illustres esprits nous prédisaient effondrement et apocalypse, si cela venait à se produire. Les Cassandre auront-ils raison, en affichant haut et fort qu’il n’y aurait pas de plan B, rien que la perspective d’un scénario catastrophe de fin de monde, d’un État failli, en défaut de paiement, ouvert à tous les dangers et débordements ? Le risque est réel si on n’y prend garde.
Envoyer un message fort
Le Président Kaïs Saïed joue à faire peur ; cette stratégie n’est pas sans intérêt. Les pays frères et amis, qui ne se résignaient pas à débloquer aide et crédit sans le feu vert du FMI, l’entendraient-ils ainsi ? Ils ne seront pas épargnés et seront même lourdement impactés par « le péril tunisien » auquel ils disaient s’attendre. La décision du président de la République est lourde de conséquences. Le pays doit en assumer le prix, à bien des égards, hors de notre portée, les choses étant ce qu’elles sont en l’absence des réformes pour lesquelles le gouvernement s’est engagé. Il doit, dans l’immédiat, envoyer un message fort. En engageant en profondeur la poursuite des réformes de l’État, des entreprises publiques, de la fiscalité, sans lever le pied totalement sur la suppression des dépenses de subvention. Pour avoir refusé de plier l’échine et se faire à l’idée d’une souveraineté limitée, il va falloir se retrousser les manches, puiser dans nos ultimes ressources et consentir aux pires sacrifices. Et pour cause… Il ne faut Oser défier le FMI et la communauté financière internationale n’est pas sans risque majeur pour le pays, sur lequel plane le spectre du décrochage économique, de la faillite financière et du défaut de paiement. Le président de la République, dont la décision fera date, doit avoir les moyens de sa politique. Et de solides appuis que seul un large front intérieur, solide et uni, peut lui procurer. Et pour cause…Il ne faut pas se faire trop d’illusion sur les éventuelles retombées financières de la réconciliation pénale ni sur l’hypothétique récupération de fonds illicites détournés à l’étranger. Mieux vaut solliciter dans l’immédiat la diaspora tunisienne au moyen d’un emprunt national qui lui serait destiné. Son haut degré de patriotisme et le sentiment de solidarité dont elle a toujours fait preuve en assureraient le succès. Pour le reste, nous ne devons compter que sur notre propre effort, sur notre intelligence collective, sur notre créativité et notre capacité de rebond et de redressement. Et signifier par là même que nous avons de bien meilleurs arguments que le seul accord avec le FMI pour gagner la confiance des marchés financiers, celle des bailleurs de fonds et des pays frères et amis.
La Tunisie est capable de produire son propre label de crédibilité
La Tunisie est capable, si elle n’est pas bousculée, violentée de l’intérieur, de produire son propre label de crédibilité qui lui vaudra le respect des États créanciers et des investisseurs. On a autant de raisons d’aller vers eux qu’ils ont de réels motifs de venir vers nous, par intérêt, besoin et nécessité. Ils viendront en grand nombre quand ils finiront par se convaincre de la qualité de l’environnement des affaires et de la pertinence de la gouvernance publique. Ils seront au rendez-vous quand l’État réduira sa place dans l’économie, fera le ménage dans sa bureaucratie tentaculaire.
La décision du chef de l’État sonne comme une rupture avec le passé. L’État est placé au pied du mur. Il doit se muer en État stratège. Il doit repenser son rôle d’État providence. Il doit protéger, sans casser les ressorts de la créativité et de la production à force d’assistanat sans avenir. Le syndicat ouvrier, qui n’a jamais caché son hostilité à l’égard du FMI, sait ce qui l’attend et ce qu’il doit faire en étant sur la même ligne que le chef de l’État, cohérence oblige. Il doit intégrer la culture de l’entreprise et faire de la valeur travail sa nouvelle religion. En cas d’échec par manque d’engagement ou à cause de revendications décalées, il sera le plus grand perdant. Le toit lui tombera sur la tête. Il sera mort et enterré.
Oser défier le FMI n’est pas sans risque majeur pour le pays
Oser défier le FMI et la communauté financière internationale n’est pas sans risque majeur pour le pays, sur lequel plane le spectre du décrochage économique, de la faillite financière et du défaut de paiement. Le président de la République, dont la décision fera date -au même titre que celle en son temps du Premier ministre malaisien Mohamad Mahathir lors de la crise asiatique en 1997-1998-, doit avoir les moyens de sa politique. Et de solides appuis que seul un large front intérieur, solide et uni, peut lui procurer. Il doit à cet égard calmer les esprits, rassembler et fédérer, et jeter les bases d’une union sacrée sous une même bannière au nom du redressement national. Il lui faut construire un vrai consensus, restaurer la confiance et les fondements d’une vision et d’une ambition nationales largement partagées.
Depuis l’Antiquité, Carthage a livré plusieurs guerres
Depuis l’Antiquité, Carthage a livré plusieurs guerres qu’elle avait perdues dans un passé lointain. Elle se prépare aujourd’hui à engager l’ultime bataille de sa survie. Y parviendra-t-elle sans se présenter en rangs serrés, sans esprit conquérant et sans stratégie digne de ce nom ? Le chef de guerre doit avoir tout le pays derrière et avec lui pour relever cet immense défi . Une guerre n’est jamais gagnée d’avance. Pour autant, nous devons donner de nous l’image d’un pays sérieux, apaisé, d’une grande sobriété et résilience. D’un pays au travail -qui nous fait tant défaut-, respectueux de ses engagements et résolu d’aller de l’avant pour récupérer son rang et son statut d’émergent. Est-ce l’image que renvoient de nous tous les écrans radar ? Le pays est-il perçu comme tel de par le monde ? Et dire que notre destin se joue à ce niveau ! Tout peut alors basculer, dans le meilleur comme dans le pire.
L’ édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N° 867 – du 12 au 26 avril 2023