Ayant comparu à moult reprises devant la justice mais toujours « maintenu en état de liberté », selon cette expression juridique ambigüe, Rached Ghannouchi vient d’être arrêté. Et ce, hier lundi à son domicile, à l’heure de l’iftar et conduit à la caserne de l’Aouina. Est-ce la fin de l’insolente impunité dont jouissait l’homme fort de la décennie noire et l’ex-président de l’ARP dissoute?
Coup de tonnerre en ce lundi du 17 avril 2023. L’arrestation du leader historique du parti islamiste d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a eu lieu au moment de l’iftar, à quelques heures de la célébration de « la Nuit du destin ».
Est-ce la fin de l’impunité pour le représentant patenté de la Confrérie des Frères musulmans qui présida à la destinée de la Tunisie durant la décennie noire marquée au fer rouge par les tentatives de l’islamisation forcée et à contre-courant de la société tunisienne, par le sang qui coula. Enfin, par le pays de désolation et champ de ruines qu’il aura légué aux générations futures?
Guerre civile
Cette fin spectaculaire, comme l’avait prédit un article intitulé « Ennahdha : la dernière danse du coq égorgé » paru hier lundi sur les colonnes de leconomiste.maghrebin.com, est-elle consécutive aux récentes déclarations de Rached Ghannouchi? Quand celui-ci clamait dans une vidéo dans laquelle il était en discussion avec des dirigeants du Front de salut national, sur un ton menaçant, œil noir et torse bombé, que « toute tentative d’éradiquer l’islam politique est un projet de guerre civile ».
الفيديو الذي سُجن بسببه الشيخ راشد الغنوشي اليوم pic.twitter.com/sviz828ovu
— طارق الخليفي (@Tarek_Alkhelifi) April 17, 2023
La goute d’eau qui fait déborder le vase
Nous ignorons pour le moment avec précision la nature des griefs qui lui sont reprochés. Lesquels conduisaient à son arrestation à son domicile sis au quartier Riadh al Andalous à l’Ariana. Puis sa conduite à la caserne d’El Aouina sur ordre du Ministère public relevant du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme.
Par contre, il n’est pas interdit d’avancer avec certitude que son sort a été scellé. Car cette menace, à peine voilée, a été interprétée à Carthage comme une sérieuse atteinte à la paix civile. Pour ses détracteurs, ils sont nombreux, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. D’autant plus que, depuis sa comparution devant la justice dans l’affaire du tasfir de jeunes djihadistes tunisiens vers les zones de conflit, notamment en Syrie, l’étau se resserrait implacablement autour de sa personne.
Cette hypothèse a été confirmée par la laconique déclaration émanant, lundi 17 avril 2023, d’une source autorisée au ministère de l’Intérieur. Selon laquelle « une brigade sécuritaire avait arrêté le chef du mouvement Ennahdha. Et ce, suite à un mandat d’arrêt émis à son encontre par le Ministère public près le pôle judiciaire antiterroriste ».
En outre, la même source précise que la brigade sécuritaire a « perquisitionné la maison de Rached Ghannouchi et a saisi tout ce qui peut être utile à l’enquête, sur ordre du Ministère public ». Ajoutant que l’intéressé « reste en détention aux fins d’enquête dans une affaire en rapport avec ses dernières déclarations ».
Devons-nous comprendre en lisant entre les lignes qu’il s’agisse d’une « affaire » dont nous ignorons pour le moment la nature? Laquelle serait en corrélation avec l’atteinte à la paix civile?
« Une arrestation abusive », dixit Ennahdha
« Une arrestation abusive », selon le chef du bureau politique d’Ennahdha, Noureddine Arbaoui. Ainsi, celui-ci déclarait lors d’un point de presse la nuit du lundi, que « le mouvement fait assumer au pouvoir la responsabilité de la sécurité de Ghannouchi, de son intégrité physique et de sa vie; d’autant qu’il ignore la manière dont il est traité ».
De longues heures ont passées, sans connaitre le lieu où il était conduit, « vers une destination inconnue, sans le respect des mesures légales les plus élémentaires », s’est-il indigné. « Ses avocats ont été informés qu’il se trouvait à la caserne d’el-Aouina et qu’ils n’étaient pas autorisés à être présents lors de son interrogatoire », ajoute-t-il.
Puis, il poursuit : « L’arrestation de Rached Ghannouchi est intervenue après les mauvaises nouvelles concernant l’accord avec le FMI. La Tunisie échappera-t-elle au spectre de la banqueroute avec l’arrestation de Ghannouchi? Ainsi s’est-il encore interrogé, ironique.
Et d’ajouter sans rire que son patron « a milité pour la démocratie et l’a pratiquée quand le mouvement d’Ennahdha était au pouvoir et lorsqu’il occupait le poste du président de l’Assemblée des représentants du peuple ». L’Histoire jugera.
Même son de cloche de la part du dirigeant nahdhaoui, Mondher Ounissi, qui déclarait lors de ce point de presse ne pas comprendre les causes ayant incité le pouvoir en place à « maltraiter Rached Ghannouchi. Alors qu’il s’est toujours montré coopératif et qu’il n’avait jamais refusé de comparaître devant la justice ».
« Un homme de paix »
Et de pleurnicher, cela devient une détestable habitude chez les partisans d’Ennahdha, quant à l’impact de l’arrestation sur la santé du patron de Montplaisir, 81 ans. « Nous ne savons pas s’il a eu l’occasion de prendre ses médicaments avec lui. D’autant plus qu’il souffre de plusieurs maladies, en tenant compte de son âge », a-t-il déploré. Affirmant toujours sans rire que Rached Ghannouchi « est un homme de paix et un penseur, ses propos s’inscrivant dans le cadre de sa lecture de la situation politique ».
Une lecture politique qui brandit l’étendard de la guerre civile en Tunisie si l’islam politique était éradiqué? Allons donc.