Alger aurait été informée et consultée par Tunis bien avant l’arrestation et l’emprisonnement de Rached Ghannouchi. C’est ce que révèle le site marocain Magheb Intelligence. Une information aussitôt démentie par une source diplomatique algérienne. S’agit-il d’une manœuvre visant à impliquer notre grand voisin de l’Ouest dans la cuisine interne tunisienne?
L’arrestation du leader historique du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, est-elle au cœur d’une nouvelle donne dans la relation bilatérale entre Tunis et Alger?
C’est du moins ce qu’avance le quotidien parisien Le Monde. Lequel, dans son édition du jeudi 20 avril 2023, s’interroge sur les raisons qui auront incité les autorités algériennes à « lâcher » leur ancien « protégé ». Et ce, eu égard au « lien historique entre le président du mouvement islamo-conservateur tunisien, très actif sur la scène régionale jusqu’au « coup de force » de M. Saïed en juillet 2021, et le régime algérien ».
Connivence
A cet égard, le média français rappelle que « la connivence remonte aux deux années d’exil (1990-1991) passées par Ghannouchi à Alger alors qu’il fuyait la répression du régime de Ben Ali. Elle s’est ensuite renforcée avec l’assistance qu’il a apportée, à la fin des années 1990, au président algérien Abdelazziz Bouteflika dans sa politique réconciliatrice, « la concorde civile », à l’égard des islamistes issus des maquis de la « décennie noire ».
En outre, Le Monde rappelle également qu’après la révolution tunisienne de 2011, M. Bouteflika recevra à Alger M. Ghannouchi à quatre reprises. « Une fréquence qui témoigne de l’étroitesse du lien ».
« Une telle proximité entre l’ancien régime de Boutaflika et son « protégé », qui faisant qu’au sein d’Ennahda certains cadres ont longtemps considéré que l’influence exercée par Alger sur Kaïs Saïed protégeait en quelque sorte M. Ghannouchi d’un risque d’arrestation ». C’est encore ce qu’ajoute la même source.
Le nouvel axe Alger-Tunis
Alors qu’est-ce qui a changé entre-temps pour que l’Algérie lâche Rached Ghannouchi?
Ainsi, le quotidien français de référence soulève cette question, sans y apporter de réponse. Il semble ne pas prendre en compte qu’après l’ère Boutaflika, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
La donne a donc changé depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Algérie en décembre 2019. En effet, Alger a manifestement pris ses distances avec le patron de Montplaisir. D’ailleurs, ce dernier n’a jamais été reçu au palais d’El Mouradia. Tandis que le nouveau président algérien s’attelait à renforcer l’axe Alger-Tunis et à développer les relations politiques, diplomatiques et économiques avec le voisin tunisien.
Faut-il rappeler qu’après le coup de force du 25 juillet et la dissolution du RPR présidé à l’époque par Ghannouchi, l’Algérie avait réagi par la voix de son chef de la diplomatie. Et ce, en déclarant : « Ce qui se passe en Tunisie est une affaire interne. Nous respectons sa souveraineté et nous sommes solidaires avec elle ». C’est ce que déclarait Ramtane Lamamra, alors ministre algérien des Affaires étrangères.
Pour sa part, et rien qu’au mois de mars dernier, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a exprimé dans une interview accordée le 23 mars 2023 à Al Jazeera son soutien au président de la République, Kaïs Saïed. Et ce, en sa qualité de président « élu par son peuple et qui n’est pas venu par la force ou à la suite d’un coup d’État ».
Mutisme à Alger
Il convient de noter à ce propos que l’Algérie n’a pas réagi à l’incarcération de Rached Ghannouchi. D’ailleurs, les réactions à l’arrestation du leader d’Ennahda n’ont pas été nombreuses parmi la classe politique. Excepté celle du parti islamiste Mouvement de la société pour la paix (MSP). Lequel s’est dit inquiet des « graves développements de la crise politique en Tunisie. Elle est entrée dans un tournant dangereux avec l’arrestation de Rached Ghannouchi, la fermeture du siège du mouvement en dehors du cadre de la loi; ainsi que les arrestations opérées parmi des militants politiques de diverses sensibilités dans le pays ».
Toujours est-il : l’Algérie était-elle avertie de l’arrestation puis de l’incarcération de Rached Ghannouchi? En d’autres termes, Carthage a-t-elle reçu la « bénédiction » du grand frère algérien avant de franchir le Rubicon?
Bombe médiatique
Difficile de répondre actuellement à cette question qui brûle les lèvres. Entre-temps, Maghreb intelligence, un site assez douteux réputé proche du palais royal marocain, vient de lancer une bombe.
Ainsi, ce média en ligne basé à Paris vient de publier, vendredi 21 avril, un article intitulé « Alger a été informée et consultée par Tunis bien avant l’arrestation et l’emprisonnement de Rached Ghannouchi ».
Selon le média marocain, « les autorités algériennes étaient bel et bien au courant et informées des tenants et aboutissants du projet d’arrestation de l’opposant tunisien, chef charismatique du parti islamiste, Rached Ghannouchi ».
Un « deal secret »
Et d’ajouter : « Et c’est dans ce contexte qu’un deal secret a été conclu entre Alger et Tunis. Ce deal consiste à interpeller rapidement Rached Ghannouchi pour ensuite l’inculper officiellement devant une juridiction tunisoise, afin de justifier au final un placement en détention. Mais au cours de ce processus, Alger a exigé de Kaïs Saïed des engagements solennels pour garantir un très bon traitement au leader d’Ennahda, un traitement digne de son rang de personnalité politique de premier plan en Tunisie. »
Par ailleurs, précise la même source, « Alger a obtenu de la part du Président tunisien une autre importante garantie : le séjour en prison de Rached Ghannouchi ne devra pas durer longtemps; et aucune condamnation pénale très lourde ne sera prononcée à son encontre. Ce deal a été négocié âprement entre Alger et Tunis afin de permettre à Kaïs Saïed de sortir vainqueur de son bras-de-fer face à Ennahdha de Ghannouchi. Et ce, sans provoquer trop de dégâts sur la stabilité sécuritaire de la Tunisie ». En sormme, une manière de « renvoyer l’ascenseur à Kaïs Saïed qui a servi « loyalement et fidèlement ces derniers mois les intérêts de l’Algérie ».
Démenti algérien
Il convient de rappeler que ce « scoop » publié par Maghreb Intelligence a été aussitôt démenti le vendredi 21 avril 2023 par une source diplomatique. Laquelle précisait que cette information « n’est pas fondée ». Tout en ajoutant que « l’Algérie reste fidèle à sa doctrine en matière de politique extérieure ». Celle-ci étant basée sur le principe de « non-ingérence dans les affaires internes des autres états. Comme elle refuse que les autres Etats se mêlent de ses affaires internes ».
Alors, info ou intox? Une information à prendre avec des pincettes sur fond de guéguerre entre Alger et Rabat. Donc, prudence.