La question est d’autant plus brûlante que la levée de boucliers qui a eu lieu juste après l’arrestation de Rached Ghannouchi implique des états amis, et même des états alliés à la Tunisie. Sans parler de l’Union Européenne qui reste notre principal partenaire économique. Mais au-delà des prises de positions diplomatiques, cela prouve que des forces politiques, particulièrement en Occident, agissent en concertation pour faire pression sur le pouvoir politique tunisien. Et ce, afin de lui faire faire marche arrière quant au processus de l’élimination de l’islam politique de la scène politique tunisienne.
Ce n’est nullement un hasard si le Président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, a déclaré publiquement à ceux qui veulent l’entendre que si l’islam politique « est exclu du jeu, et donc du pouvoir, c’est la guerre civile » qui s’installera. Ce n’était pas une analyse, comme veulent nous le faire croire ses défenseurs via ses avocats. Mais bien une menace, comme l’a compris d’ailleurs le Parquet.
En effet, Ghannouchi sait pertinemment que les puissances occidentales tiennent à la stabilité de notre pays. Car si par malheur elle est touchée, c’est la propre sécurité de l’Europe qui est en jeu. Et ce, notamment à travers des vagues d’immigrations massives ; ainsi que la possibilité d’un retour plus violent du terrorisme sur leurs territoires. Sans parler des inéluctables poussées russe et chinoise dans la région. La Tunisie est donc la principale digue contre ces fléaux qui menacent l’Europe, d’où son importance stratégique. Si par malheur cette digue venait à céder, les conséquences seraient inéluctables pour l’Europe. D’où l’embarras des puissances européennes déjà lourdement menacées par la guerre d’Ukraine. Les multiples déclarations du gouvernement italien ne laissent aucun doute à ce sujet.
La Tunisie, le pion devenu Roi
Notre pays fût le premier pion sacrifié pour déclencher « le printemps arabe » dans le jeu d’échec planétaire auquel s’est livré l’Amérique. Et ce selon la doctrine du « chaos créateur », théorisée et exécutée par les stratèges de Washington pour éliminer les Etats nationalistes arabes et parfaire la domination totale du système unipolaire dominé par les USA. De pion, il est en cours de devenir le Roi menacé par un échec et mat dans le camp pro occidental.
Ghannouchi n’a fait que menacer le Roi de « guerre civile ». Et les pays occidentaux, USA en tête, tentent d’éteindre le feu en faisant pression sur les autorités tunisiennes. Car, ils croient que Ghannouchi a les moyens de provoquer une guerre civile. Et c’est là où ils se trompent lourdement. La seule façon d’éteindre le feu qui couve en Tunisie depuis 2011 est justement la mise hors d’état de nuire de l’islam politique.
Bien sûr, ce sont les Italiens, qui d’ailleurs sont les premiers concernés, à avoir compris cette vérité ; loin des clichés idéologiques que véhiculent les médias européens, notamment français et allemands. Comme pour la guerre d’Ukraine! Le ministre italien, n’a-t-il pas déclaré que si le régime tunisien actuel tombe, ce sont les Frères musulmans qui prendront sa place. La France quant à elle, ne sait plus sur quel pied danser, comme d’habitude. Car il semble que sa diplomatie soit hors jeu. Même l’Algérie, qui a longtemps soutenu R. Ghannouchi sous Bouteflika, semble l’avoir lâché. Puisqu’aucun communiqué officiel n’a été publié et que la presse algérienne continue pour le moment à occulter l’évènement créé par l’arrestation du Président du parti islamiste tunisien.
Notons bien que ce sont ces deux pays, l’Algérie et l’Italie, tous les deux limitrophes, qui soutiennent Kaïs Saïed contre Ghannouchi et ses alliés. De même qu’ils exercent une grande influence sur notre voisin du sud. Alors qu’ils sont désormais liés par une alliance stratégique, du moins sur le plan énergétique. Ils sont aussi parmi les plus importants soutiens économiques de notre pays au moment où il vacille. Tous les deux ont donc un intérêt vital dans la stabilité politique et sociale de notre pays et agissent pour la consolider. Ils savent aussi pertinemment que le processus qui vise à neutraliser l’islam politique ne fait courir aucun risque à cette stabilité. Sachant qu’ils ont les services les mieux informés sur la situation interne et surtout sur la haine que voue une majorité écrasante de Tunisiens aux islamistes et surtout à R. Ghannouchi en personne. Ceci sans parler des élites politiques qui n’ont cessé de combattre ce fléau depuis des décennies.
Ghannouchi, l’homme du Sultan
La déclaration surprenante du Président turc Erdogan, affirmant qu’il a tenté de joindre les autorités tunisiennes et que celles-ci ont refusé de lui répondre, prouve que du côté tunisien, on connait parfaitement les relations étroites qui lient le sultan ottoman et son pion tunisien. Au point que le premier a osé enfreindre tous les protocoles qui lient les Etats souverains. A l’évidence, Erdogan a agi comme à l’époque où la Tunisie était une wilaya ottomane et le Bey un simple wali au service de son altesse sultanesque.
Lui qui a envoyé des dizaines de milliers de militaires, de politiques, de juges, de journalistes, d’activistes croupir en prison pour de longues années, et pour une accusation de « complot contre la sûreté de l’Etat ». Ce n’est certainement pas parce qu’il est mû par un penchant démocratique. Mais tout simplement pour tenter de sauver in extremis un de ses pions dans cette région où la Turquie a des convoitises comme au bon vieux temps des siècles obscurs du règne ottoman. Et puis Ghannouchi n’a-t-il pas déclaré qu’il est devenu un adepte de l’Erdoganisme? C’est-à-dire, un mélange de frèrisme musulman et de despotisme califal moyenâgeux.
Sans parler du fait que Ghannouchi avait facilité l’intervention militaire turque en Libye, usant de ses relations avec les Frères de fajr libya. Un parfait agent qui est allé même jusqu’à organiser une rencontre « très fructueuse » entre le Calife turque et le fiston de Béji Caïd Essebsi, aujourd’hui en fuite, pour accroitre l’influence turque.
Sans parler de l’activation de la présence économique chez nous aux dépens même des entreprises tunisiennes. Rappelons-nous de la visite de cet arrogant Sultan chez nous où, il s’est permis de faire des remarques désobligeantes sur « les odeurs » à Carthage, sûr qu’il était de son pouvoir dans l’ex-beylik. Son pouvoir, il le devait à Ghannouchi à tel point qu’il avait exigé de la Tunisie des facilités militaires pour intervenir à Tripoli. Sans oublier les milliers de terroristes tunisiens qui sont allés en Syrie transitant par la Turquie et qui étaient recrutés et envoyés par Ennahdha. Lesquels ont fait que Rached Ghannouchi comparaisse aujourd’hui, devant le juge d’instruction chargé du terrorisme et dont l’affaire est en cours. Quoi de plus normal alors, que le Sultan d’Istanbul se mobilise pour son « ami »? Mais a-t-il encore les moyens de le sauver? Très peu probable!
Le jeu américain
Par ailleurs, il est certain, que Ghannouchi, est devenu un « ami » encombrant pour les Américains. Sauf que son arrestation sonne le glas du « printemps arabe ». Car c’est le dernier pion sur l’échiquier qui tombe et le seul qui a longuement résisté, grâce à Ghannouchi particulièrement. Cette arrestation coïncide aussi avec la première visite du ministre syrien des Affaires étrangères ; après la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Un coup dur pour Washington, qui voit son influence sur notre pays se rétrécir comme une peau du chagrin ; malgré les menaces et les pressions exercées.
Mais Ghannouchi n’a plus aucune valeur politique car il n’a désormais plus aucun atout en main. Pire, il devient une charge et sa défense risque de pousser le pouvoir politique à Carthage à prendre plus de distance avec les USA et s’approcher davantage des Russes et des Chinois. Or, la Tunisie est un allié incontournable. Surtout en Afrique, notamment après la guerre civile au Soudan que les Occidentaux croyaient avoir récupéré après l’évincement d’Omar El Béchir.
Les USA n’ont donc aucun intérêt à continuer à jouer la carte d’un perdant, ce qui est le cas de Ghannouchi. Les multiples déclarations du Président de la République à propos de l’ingérence dans les affaires intérieures sonnent comme des avertissements aux amis occidentaux. Et ce, malgré le chantage qu’ils exercent via le FMI. L’expérience prouve que les pressions de ce genre sont contreproductives et même qu’elles peuvent aggraver la situation de Ghannouchi qui sera inéluctablement sacrifié par « ses amis ».