Même si on ne connait pas d’une manière exhaustive, chiffrée, le nombre d’entreprises françaises en Tunisie ni le nombre précis d’emplois qu’elles créent, on connait désormais mieux leur profil, le rapport intrinsèque qu’elles ont avec la France et en quoi leur façon de travailler contribue au développement de l’économie tunisienne.
De nouvelles données viennent d’être publiées dans une étude élaborée par le service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie, en collaboration avec le comité Tunisie des conseillers du commerce extérieur de la France. Une étude que vient exposer Mme Fanny Labarthe, cheffe du service économique régional de l’ambassade de France en Tunisie, lors de cet entretien. Un entretien qui sera aussi l’occasion d’évoquer les relations tuniso-françaises, la question du FMI et d’autres questions brûlantes de l’actualité.
La relocalisation : est-ce dans ce cadre qu’on peut comprendre, comme le montre l’étude, que les entreprises françaises actuellement en Tunisie comptent investir au cours des prochaines années ?
En effet, l’étude montre que 50% des entreprises françaises déjà implantées en Tunisie déclarent vouloir investir plus d’un million d’euros au cours des prochaines années. Près de la moitié des entreprises indiquent qu’elles ont confiance dans le site tunisien, qu’elles sont satisfaites de la qualité des ressources humaines, du positionnement géographique de la Tunisie et qu’au-delà du contexte qui plombe les finances publiques tunisiennes et qui créent un certain climat d’incertitude, elles envisagent d’investir dans les prochaines années. Ce qui prouve que le site tunisien reste attractif.
J’ai vécu dans tous les pays du Maghreb et peux ainsi confirmer que la Tunisie dispose de ressources humaines d’une qualité incroyable. C’est sa force, elle doit les valoriser.
On n’a pas, toutefois, évoqué, dans cette étude, les difficultés que rencontrent les entreprises françaises.
En effet, et puisqu’on a évoqué le port de Radès, je pense que le secteur sur lequel la Tunisie doit travailler, c’est la logistique. D’autant plus qu’il y a le voisin marocain qui est monté en puissance avec le port de Tanger. Le port de Radès, est parmi les pires en Afrique en termes de rotation/heure. Il faut agir vite, sans attendre la mise en place du port en eau profonde à Enfidha, dont on attend toujours les résultats de l’appel d’offres.
Cette réforme tant attendue par tous les opérateurs est urgente et n’entraine pas de dépenses considérables pour sa mise en œuvre. La mise en place de nouveaux quais au port de Radès est même soutenue par un don américain de 350 millions de dollars.
Vous avez évoqué la qualité des compétences tunisiennes. Le fait qu’il y ait autant de jeunes cadres qui quittent chaque année le pays ne serait-il pas un handicap par rapport aux entreprises françaises ?
C’est clair que les entreprises françaises sont venues en Tunisie, entre autres, parce qu’elles comptaient sur les ressources humaines exceptionnelles du pays. On est, dans ce cadre, face à une équation impossible. D’un côté, l’ambassade est accusée de ne pas donner assez de visas aux compétences tunisiennes qui veulent partir et de l’autre, les entreprises françaises en Tunisie nous reprochent de donner trop de visas encourageant le départ de leurs effectifs. Il est vrai que les entreprises, essentiellement dans le secteur technologique, connaissent un taux de « turnover » de l’ordre de 30% à 50%.
Maintenant, il faut relativiser : la centaine d’entreprises qui ont répondu dans le cadre de notre enquête, indiquent que globalement, elles sont confrontées à un « turnover » relativement peu élevé, de l’ordre de 11% par an en moyenne. C’est un taux, on va dire, naturel. En revanche, lorsque le taux de turn-over atteint 50% comme dans le secteur technologique, c’est un réel handicap. Mais ce n’est pas un handicap en tant que tel pour la Tunisie, puisque ce taux est pratiquement le même dans tous les pays du Maghreb.
Les entreprises françaises s’engagent aussi en faveur de l’égalité femmes-hommes pour 72% d’entre elles
En tout cas, conscientes de ce problème, les entreprises françaises s’emploient à avoir des sites de production des plus accueillants possible pour le bien-être des employés. Elles s’engagent aussi en faveur de l’égalité femmes-hommes pour 72% d’entre elles. A cela, s’ajoutent les avantages matériels pour leurs collaborateurs et leurs familles. Ce fut le cas, par exemple, durant la période Covid. Les entreprises françaises avaient pris en charge les frais d’hospitalisation dans les cliniques de leurs employés, alors que les assurances ne le permettaient pas.
Maintenant, au-delà de la fidélisation des cadres, l’idée est aussi de former plus. C’est un autre point que nous avons abordé dans l’enquête, en mettant en lumière les partenariats menés par ces entreprises avec les instituts de formation tunisiens. Plus de la moitié des entreprises ont conclu des partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur tunisien. Ces partenariats sont variés : stages d’élèves ingénieurs, alternance. Certaines entreprises cofinancent même des parcours dans les universités, avec des cours donnés par les cadres de ces mêmes sociétés. L’étude a montré qu’il y a un véritable souci de contribuer à l’écosystème de formation tunisien.
Les entreprises françaises en Tunisie contribuent également au transfert des technologies avec 34% d’entre elles qui investissent plus de 3% de leur chiffre d’affaires dans la R&D. Elles appliquent des normes et des standards internationaux supérieurs aux normes nationales, ce qui permet de faire monter en gamme toute la sous-traitance tunisienne.
Un extrait du grand entretien qui est disponible dans le Mag de l’Economiste N 868 du 26 avril au 10 mai 2023