Définir le terme même de compétence, comprendre les mécanismes de la migration et la loi de l’offre et de la demande qui la régit. Des concepts que M. Faouzi Abderrahman, ancien ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, tentera de nous expliquer. On essayera aussi de décortiquer avec l’ancien ministre, mais surtout avec l’homme politique, les causes, les conséquences et les solutions à ce phénomène
Dans un environnement ouvert et interconnecté, comment peut-on garder nos compétences avec une telle adéquation salaire ?
Faouzi Abderrahman: Nous avons en face un marché en Europe, avec 420 millions d’habitants. Le niveau moyen d’un ménage en Europe est sept fois supérieur à celui d’un ménage tunisien. Mais le vrai défi serait de savoir comment créer assez de richesse pour augmenter les revenus des ménages tunisiens. Il ne faut pas oublier que le taux de pauvreté multidimensionnel dépasse les 30%.
Sans une révision de la politique des salaires, il est inutile de parler de solution au départ des compétences. Avec un tel taux de pauvreté, c’est la porte ouverte à tous les types de migrations. Je ne parle pas des compétences, mais de tous ces jeunes qui bravent la mer dans des conditions inhumaines. Il est impossible de les retenir.
Il n’en reste pas moins que c’est une bombe à retardement, notamment pour l’économie tunisienne.
Il est évident que la migration des compétences est un gros problème. Mais je pense qu’il y a plus de retombées positives que négatives.
Je me souviens, lorsque j’étais ministre, qu’il a été question d’interdire le départ des compétences. J’avais, avec un autre ministre, exprimé clairement mon refus. Qu’avons-nous à leur offrir pour les retenir ? Nous n’avons pas l’environnement adéquat pour les garder. Et j’avais même dit que j’étais favorable au départ des compétences.
Une compétence tunisienne en France ou au Canada, c’est une Tunisie qui rayonne
Je pense sincèrement que les compétences à l’étranger sont une richesse pour le pays. D’abord, sur le plan civilisationnel. Avoir une diaspora tunisienne à l’étranger est excellent pour l’image de la Tunisie. Une compétence tunisienne en France ou au Canada, c’est une Tunisie qui rayonne.
Certes, mais c’est une perte économique. Il faut des compétences pour créer de la richesse. De plus, les compétences représentent la classe moyenne supérieure, celle qui paie le plus d’impôts et qui consomme le plus.
Oui, quelque part, c’est vrai. Mais il ne faut pas aussi oublier que la première source d’entrée de devise pour le pays vient de la diaspora. Les TRE ont atteint un record de 8.5 milliards de dinars au terme de l’année 2022. C’est plus de 2.7 milliards de dollars. Ces recettes sont deux fois plus élevées que celles engrangées par le tourisme. Cela dit, si on avait une politique publique en la matière, on aurait pu formaliser cette migration des compétences dans le cadre d’accords bilatéraux. En « offrant » des compétences formées, on aurait pu demander une contrepartie. Par exemple, en contrepartie des médecins recrutés à l’étranger, on aurait pu demander l’implantation de laboratoires de recherche médicale en Tunisie. C’est un gain pour la Tunisie et cela permet surtout d’élargir la chaine des valeurs. On aurait pu aussi, en contrepartie des ingénieurs informatiques qui partent, négocier l’implantation en Tunisie de filiales de ces entreprises qui recrutent.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 868 du 26 avril au 10 mai 2023