Les politiques étant par essence des malins, ils usent largement d’un truc érigé en règle de conduite : remettre au lendemain ce qu’on doit faire aujourd’hui. Il n’y a qu’à faire le bilan de cette décennie post-révolution pour s’en rendre compte. Durant ces douze dernières années, tous ceux qui se sont empressés de prendre le pouvoir ont de suite ralenti le pas lorsqu’il s’agissait d’agir. Toutes tendances confondues, ils ont eu l’art de renvoyer au lendemain les patates les plus chaudes. La logique, et peut-être le bon sens le plus élémentaire, aurait été qu’ils s’attellent sur la question de régler les comptes de la Nation, empêtrée dans les dettes qui s’accumulent et les impasses financières qui se multiplient. Dans le désordre, il y a l’abime des caisses sociales, l’insondable gouffre des entreprises publiques, les dérives de l’évasion et de la corruption, et quelques autres broutilles qui se chiffrent en milliards.
Mais qu’à cela ne tienne, ivres de démocratie qu’ils étaient, ils pouvaient se permettre quelques « renvois ». Sauf que les festoyeurs expérimentés savent que les lendemains de fête sont souvent difficiles, surtout quand on a abusé des banquets somptueux aux frais de la République. Pour les habitués, on conseille une thérapie de choc, quitte à tout « renverser ». Chose faite. Il faut dire qu’il était urgent de retrouver ses esprits et de promettre de ne plus recommencer. Promesses pour lesquelles on nourrissait, il faut le dire, un soupçon de doute avec l’arrière-pensée que les politiques n’ont pas la sagesse des buveurs pénitents.
En effet, et une fois débarrassés des anciens, les nouveaux venus nous ont juré par tous les Dieux qu’ils ne remettraient plus jamais le travail d’aujourd’hui à demain, quitte à nous faire du mal. Et pour nous faire du mal, la promesse est tenue. Un mal fou à joindre les deux bouts, mais surtout un mal au cœur de voir comment on a géré l’arrestation de Rached Ghannouchi. Ça nous aurait fait du bien, si on l’avait arrêté depuis le 25 juillet. La liste de ses faits d’armes et de ses méfaits est longue comme le bras. Mais voilà, à force de remettre au lendemain une arrestation qui était, somme toute, inévitable, on a fait de l’homme un prisonnier politique. Que l’homme le plus détesté des Tunisiens retrouve un soupçon de sympathie avec un zeste de soutien « grâce » à une arrestation qu’on s’est ingénié à reporter au lendemain, cela relève du génie. Le génie tunisien qui, encore une fois, esbroufe le monde entier. Des prouesses qui font réagir la communauté internationale qui ne temporise pas ses « inquiétudes » face à la dégradation des libertés d’opinion, d’expression et de pensée en Tunisie.
Bien entendu, et en attendant un lendemain qui chante, le monde qui bouge ne nous attendra pas. En tout état de cause, il ne tiendra aucun compte de la rhétorique actuelle, en particulier celle qui consiste à développer un populisme né du désarroi économique et social. Il n’y a qu’à mesurer l’impact économique de l’ajournement des réformes, donc d’un accord avec le FMI, pour ressentir les dégâts. Les pétitions de principe sur les complots ourdis à l’étranger ne modifient en rien les flux économiques internationaux. Et jusqu’à nouvel ordre, la Tunisie n’est pas un îlot isolé et, parmi mille autres choses, n’a pas d’autre choix que d’importer, aujourd’hui, pas demain, du blé et des médicaments à coups de milliards. Les lendemains de fête, il faut bien payer les factures, avec ou sans les gardiens des révolutions.
C’est vrai que la politique est avant tout l’art de capter l’opinion et de réussir les coups gagnants. Et il y a fort à parier qu’aujourd’hui, l’opinion publique, assoiffée de vengeance, est acquise. Sauf que, demain, une fois rassasié, ce même public ne fera pas pénitence en se contentant de se nourrir de pain et d’eau. Si on les trouve, par ailleurs. Tout cela pour dire que demain fera jour nous a nui