Et si le Dialogue national, une initiative mainte fois repoussée par l’ombrageux Kaïs Saïed, avait cette fois-ci une chance de voir le jour? C’est que, au fond, les positions sur certains points cruciaux, qui sont affichées par le président de la République et celles clamées place Mohamed Ali par N. Taboubi semblent se croiser. Realpolitik oblige.
Noureddine Taboubi persiste et signe : en ces temps des quarantièmes rugissants que traverse notre pays, il n’y a point de salut en dehors du Dialogue national. D’ailleurs, dans cette doxa inébranlable en cette initiative mainte fois enterrée par la volonté d’un homme, Kaïs Saïed, qui ne veut pas en entendre parler, le SG de la centrale ouvrière vient de gagner la caution morale d’un allié de poids : celle de son prédécesseur à la place Mohamed, Ali Houcine Abbassi. Un homme de sagesse, de pondération et d’intégrité dont l’aura et le prestige en interne et à l’international n’est pas à démontrer.
Caution morale
En effet, le prix Nobel de la paix estime que toutes les conditions « objectives » sont désormais réunies pour que le chef de l’Etat saisisse cette opportunité de cautionner l’initiative proposée par l’organisation syndicale, la société civile et un certain nombre de partis qui ont annoncé leur soutien au 25 juillet 2021. Mais, souligne-t-il, eu égard à la situation politique, sociale et économique qui prévaut à l’heure actuelle, la dynamique du Dialogue national proposé actuellement ne saurait reprendre à l’identique celle de 2014.
« Il est temps, affirmait-il hier lundi 1er mai sur les ondes de Diwan FM, que Kaïs Saïed invite ces parties à un « dialogue national inclusif ». Et ce, afin de surmonter la crise politique et économique et de mettre en œuvre les grandes lignes telles que la lutte contre la corruption et la récupération des fonds spoliés ». Soulignant à l’occasion que « le pays ne pourra pas aller de l’avant en l’absence de partage d’idées et de solutions ». « Que d’occasions perdues, mais, gardons espoir, rien n’est définitivement perdu », s’est-il exclamé.
Reste à savoir si le président de la République ayant imposé son agenda personnel finira par saisir la main tendue par le partenaire social le plus important du pays. Alors même qu’il honnit les corps intermédiaires, qu’il a pratiquement fermé les portes de Carthage au SG de l’UGTT et que la justice a jeté, affront suprême, un certain nombre de syndicalistes en prison.
« Un Projet national » ambitieux
En effet, s’exprimant devant des centaines de syndicalistes venus de toutes les régions du pays à l’occasion d’une cérémonie organisée au palais des Congrès à Tunis pour célébrer la fête du travail, le 1er mai 2023, Noureddine Taboubi est revenu longuement sur l’importance de lancer un Dialogue national. Lequel se « baserait sur la transparence et la participation effective de toutes les forces vives du pays ». Et ce, « afin d’élaborer un Projet national de réformes fondé sur la rupture avec le modèle économique actuel, les ressources propres et la création de richesse ».
Il a rappelé à cet égard que la centrale syndicale, l’ordre des avocats, la ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) ont lancé une initiative « visant à faire sortir le pays de la crise et à rassembler toutes les forces vives du pays autour « d’un Projet national » qui garantit la relance économique, le développement, l’équité sociale et l’application de la loi pour assurer la paix et la stabilité et sauver le pays d’une éventuelle faillite ».
Une énième initiative qui sera soumise à la présidence de la République? « Afin de promouvoir l’économie nationale et créer de la richesse à travers le lancement de grands projets à forte employabilité ». Mais aussi pour lancer des réformes réelles dans tous les secteurs. « Afin de garantir un enseignement de qualité, les soins à tous les Tunisiens et lutter contre la migration irrégulière des jeunes et la fuite de cerveaux et des compétences nationales ». Ainsi avait promis le SG de l’UGTT. Un programme qui ne manque pas d’ambition.
Or, ce « projet national participatif », ajoute l’intervenant est impossible sans l’implication de toutes les forces vives du pays, « à l’exception des parties impliquées dans le terrorisme et la corruption ». « L’indépendance de la décision nationale dépend de l’union nationale pour la défense du pays et le rejet de toute ingérence, notamment lors des négociations avec les instances internationales.
Convergence
Une musique douce que l’oreille présidentielle semble savourer. Et ce, d’autant plus qu’elle s’aligne sur la terminologie usuelle employée par l’hôte du palais de Carthage très à cheval sur « l’indépendance de la décision nationale », le refus catégorique de « l’ingérence étrangère notamment lors des négociations avec les instances internationales » et la mise à l’écart des parties « impliquées dans le terrorisme et la corruption ».
D’ailleurs, n’est-il pas intéressant de constater que lors de son discours du 1er mai, N. Taboubi n’a pas manqué de saluer le discours officiel du président de la République. Lequel appelait à ne compter que sur nos propres ressources, tout en constatant que les mesures imposées par le FMI comme la levée de la compensation, la réduction de la masse salariale et la privatisation des entreprises publiques « aggraveront l’appauvrissement du peuple tunisien et augmenteront le taux d’inflation » ?
« La position du chef de l’État s’accorde totalement avec celle de la centrale syndicale en ce qui concerne les réformes souhaitées par le FMI », a conclu Noureddine Taboubi.
Un appel du pied au Président? Alors qui empêche les deux parties, en l’occurrence la présidence de la République et la centrale syndicale, d’œuvrer ensemble afin de réaliser les objectifs communs via un Dialogue nationale qui réunit les partis ayant applaudi à l’avènement du 25 juillet?
« Le vrai seul miracle qui peut sauver notre pays et nous sortir de la crise est celui de compter sur nous-mêmes et fédérer nos forces autour d’un Projet national capable de répondre aux ambitions de notre peuple ». Ainsi a affirmé Noureddine Taboubi. Tout en estimant « que la souveraineté du pays et l’indépendance de sa décision sont tributaires de la cohésion du front national et de l’unité de son peuple ».
Des propos que le chef de l’Etat ne changerait pas d’un iota. Le patron de la centrale ouvrière semble caresser le chef de l’Etat dans le sens du poil. Ce dernier se laissa-t-il convaincre et acceptera-t-il enfin de cautionner même du bout des lèvres l’initiative du Dialogue national rebaptisée Projet national; prélude à une détente tant attendue et souhaitée entre Carthage et les organisations nationales, certains partis politiques et la société civile?