De l’avis général, la réintégration de la Syrie dans le giron arabe n’aura pas été possible sans l’aval des Saoudiens, notamment suite au réchauffement spectaculaire de leurs relations avec le régime chiite des Mollahs. L’Histoire retiendra également que la Tunisie aura joué un rôle majeur dans ce processus. Et ce, après que l’ex-président provisoire de la République, Moncef Marzouki,grand chantre des droits de l’homme devant l’Eternel, eut rompu unilatéralement les relations diplomatiques avec Damas en 2012.
Que de chemin parcouru depuis plus d’une décennie entre Damas et Tunis. Pour rappel, le 24 février 2012, l’ex-président provisoire Moncef Marzouki, flanqué de son ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalam, co-présidera avec le Qatar, en présence d’une soixantaine de délégations arabes et étrangères, « la conférence des amis du peuple syrien »pour appeler à la rupture des relations diplomatiques entre l’ensemble du monde arabe et la Syrie de Bachar al Assad.
« Audace » et « Courage »
Onze années plus tard, les pendules furent remises à l’heure. Ainsi, à l’issue de sa rencontre mardi 18 avril 2023 à Carthage avec le président de la République, KaïsSaïed, le ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Mekdad, a tenu à signaler que le président Bachar el-Assad salue « l’audace et le courage » de son homologue tunisien.
C’est qu’entre temps, le chef de l’Etat avait décidé début février d’élever la représentativité diplomatique tunisienne en Syrie. Une décision qui intervient après le violent séisme qui a touché la Syrie.
A peine un mois plus tard, Damas et Tunis annoncèrent le 12 avril le rétablissement total de leurs relations diplomatiques. Dans la foulée le président de la République, Kaïs Saïed, présidait le 27 avril 2023, la cérémonie de remise des lettres de créance de l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République tunisienne auprès de la République arabe syrienne. C’est dire que la Tunisie y est pour quelque chose dans la réintégration de la Syrie dans le giron arabe : désormais, Damas est de retour au sein de la Ligue des États arabes dont elle est membre fondateur depuis 1945.
Retour au bercail
Faut-il rappeler qu’en novembre 2011, 18 des 22 membres de la Ligue arabe avaient suspendu la participation du gouvernement syrien à leurs réunions. L’organisation panarabe avait également imposé des sanctions économiques à la Syrie et la fin des liaisons aériennes, après des mois de mesures économiques américaines et européennes contre des dirigeants et intérêts économiques syriens.
Cette décision de réintégrer la Syrie dans ses rangs a été prise dimanche 7 mai au cours d’une réunion au Caire des ministres des Affaires étrangères des États membres de la Ligue arabe. Elle sera annoncée prochainement et devrait être entérinée par le sommet des chefs d’État prévu le 19 mai en Arabie saoudite. En attendant, les délégations syriennes pourront assister aux réunions de la Ligue arabe à partir de dimanche 7 mai.
En contre partie de l’engagement des États arabes à fournir des aides supplémentaires à la Syrie, à contribuer à la reconstruction du pays et à alléger progressivement les sanctions qui lui sont imposées, Damas est tenu de cesser les opérations militaires, de faciliter le passage aux frontières des aides humanitaires, de permettre le retour des réfugiés, de libérer les détenus et d’organiser des élections « libres et transparentes ».
Le président Assad est donc « le bienvenu s’il le veut » au sommet annuel des chefs d’Etat de l’organisation panarabe le 19 mai à Djeddah, en Arabie saoudite », a précisé le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Abou el-Gheit.
Les Saoudiens, maîtres des horloges
Pour les observateurs, rien n’aurait été possible sans la bénédiction de Ryadh. Et ce, depuis le changement radical de la donne régionale suite au réchauffement spectaculaire des relations entre l’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran ; au grand dam d’Israël.
Pour rappel, le 1er novembre 2022, le royaume wahhabite refusait toujours le retour de la Syrie de Bachar el-Assad au sein de la Ligue arabe. L’Algérie, qui accueillait alors le sommet de la Ligue Arabe, voulait étendre l’invitation au maître de Damas mais elle s’est heurtée à l’opposition de plusieurs pays, dont l’Arabie saoudite.
Alors, comment expliquer le revirement de la diplomatie saoudienne ? Par réalisme et bonne appréciation des rapports de force. Ainsi, ont-ils constaté qu’après douze ans de conflit, Bachar el-Assad est sorti de son statut de persona non grata, profitant notamment d’un élan de solidarité mondial en février après un séisme qui a dévasté des vastes régions syriennes. Il est toujours à la tête de la Syrie. Il a même repris le contrôle d’une grande partie du territoire et l’opposition syrienne n’est plus en mesure de proposer une quelconque alternative.
D’autant plus que la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe sera aussi un succès diplomatique important pour le prince héritier Mohamed Ben Salmane qui accueillera le 19 mai 2023 le sommet arabe à Djeddah..
En effet, les Saoudiens qui avaient soutenu des rebelles au début de la guerre en Syrie, laquelle eut morcelé le pays, fait environ un demi-million de morts et des millions de réfugiés et de déplacés, devait démontrer son leadership sur la scène arabe. Surtout ne pas laisser les Emirats arabes unis prendre les initiatives diplomatiques en réouvrant dès 2018 son ambassade à Damas et en accueillant Bachar al Assad en mars 2022 pour sa première visite dans un pays arabe depuis le début de la guerre.
Une victoire pour Bachar
Pour la Syrie, il s’agit sans conteste d’un retentissant succès diplomatique. En effet, le gouvernement syrien mise sur une pleine normalisation avec les pays arabes, notamment les riches monarchies du Golfe, pour financer sa coûteuse reconstruction. D’autant plus qu’avec le temps et le soutien de la Russie et de l’Iran, le chef de l’Etat syrien a repris le contrôle de la majeure partie du pays, même si quatre millions de personnes vivent encore dans des territoires du nord-ouest sous contrôle des rebelles et des jihadistes.
Seule fausse note dans la future « grande conciliation arabe » :le Qatar a annoncé ouvertement son opposition au président syrien Bachar el-Assad en faisant savoir qu’il ne normalisera pas les relations avec le gouvernement de Damas, malgré la reprise de la participation des délégations syriennes aux réunions de la Ligue arabe. Faut-bien que le petit émirat gazier se distingue du lot par un spectaculaire coup d’éclat. C’est dans son ADN.