Après l’attaque d’hier soir à Djerba, et en dépit de la confiance des Tunisiens en leurs forces armées, un fond d’inquiétude plane dans les esprits depuis hier soir. Principale interrogation : quelles seraient les conséquences économiques de ce geste criminel ? Au stade actuel, aucune réponse ne peut être exhaustive, mais une première évaluation s’impose.
Le premier secteur exposé est naturellement le tourisme. Mais il faut penser plus large, car c’est toute une machine que fait fonctionner cette industrie.
Inquiétudes des marchés
Les quatre premiers mois de l’année étaient excellents. Les recettes ont augmenté de 59% à 1,3 MdTND. Les réservations pour la saison estivale sont à leur pic. Les premiers signes post-attaque donnent l’espoir que les dégâts seraient limités. Néanmoins, il faut attendre quelques jours pour confirmer et voir la réaction des tour-opérateurs qui commercialisent la destination Tunisie.
A titre d’exemple, TUI, qui mise sur notre pays cette année, a publié ce matin ses chiffres trimestriels, avec des revenus en forte hausse de 48% à 3,2 Mds€, une confirmation de ses objectifs annuels en termes de réservations (+13% sur un an, à 96% des niveaux pré-Covid). Pourtant, il a laissé des plumes à la Bourse de Francfort, en partie à cause de ce qui s’est passé à Djerba.
La Bourse de Tunis n’a pas échappé à la baisse, impactée par la tendance des sociétés exposées au tourisme, comme la STB et la SFBT.
La stratégie de communication du gouvernement est un élément clé pour la réussite de la saison. Il faut agir et défendre le secteur, surtout dans les marchés cibles. Nos concurrents méditerranéens vont mettre le paquet pour nous durcir la vie et il est hors de question de se laisser prendre.
L’image de la Tunisie en jeu
Au niveau macroéconomique, les ennemis du pays à l’origine de cet incident ont voulu stopper l’une des rares sources de recettes en devises qui restent. Alors que la Tunisie tente de résister à l’embargo financier discret imposé par ses principaux «partenaires», un tel coût aura un effet plus important sur son image que sur ses comptes.
Même en 2019, année de référence pour le secteur, le tourisme a seulement contribué, en direct, à hauteur de 6,4% de ses rentrées de devises. Sur les trois premiers mois de 2023, il a représenté 4,2% des recettes.
Il convient donc de relativiser. La Tunisie n’est pas le tourisme. Toutefois, il fait fonctionner d’autres secteurs qui drainent des recettes en devises, comme le transport aérien et les croisières qui ont retrouvé La Goulette. Des régions entières attendent l’été pour survivre le reste de l’année, grâce à des emplois saisonniers, mais rémunérateurs. Cela sans compter toute une industrie de location pour vacances de gré à gré, et dont les devises se retrouvent in fine dans le circuit officiel grâce au réseau de bureaux de change. Nous sommes en train de parler d’un facteur de stabilisation sociale.
Le vrai risque serait plutôt sur l’image du pays. La sécurité n’intéresse pas uniquement le touriste, mais également l’investisseur actuel ou potentiel. Les créanciers des entreprises et de l’Etat vont se poser davantage de questions. Ce qui reste de la qualité de signature des opérateurs économiques tunisiens, que la Banque centrale fait tout pour préserver, serait mis à l’épreuve.
Risques pour les banques ?
L’industrie touristique est le chat noir des établissements de crédit depuis quelques années. Elle est considérée comme une source de problèmes et un générateur de provisions. D’ailleurs, selon les dispositions de la Banque centrale (circulaire aux banques n°2023-02 du 24 février 2023), la majoration la plus élevée, appliquée au taux de migration historique moyen pour les opérateurs du secteur privé, est celle du tourisme, à 9%.
Fin 2022, l’encours de crédits octroyés par les banques au tourisme (hébergement et restauration) s’est élevé à 4 513 MTND, soit 5,4% de l’ensemble des crédits accordés à l’économie. Sur une année, cet encours a reculé de 259,690 MTND. Nous pouvons dire que le risque est modéré, largement atténué par la politique de provisionnement appliquée durant les dernières années. Les professionnels de l’industrie ont déjà contesté le manque d’engagement des banques dans le financement des préparatifs de la saison 2023. Ce qui s’est passé hier a donné raison aux gestionnaires des risques.
Feuille de route
Outre une stratégie de communication efficace et rapide, nous pensons qu’il faut faire davantage attention aux équilibres de la balance des paiements. Nous pensons qu’il y a un vrai risque de nouvelle dégradation de la notation souveraine du pays, qui existait même avant l’attaque de Djerba. Ce qui s’est passé va rendre les négociations plus urgentes avec le FMI, car il faut tenir compte du plus mauvais scénario, même s’il ne se produit pas. Souhaitons, enfin, que les différentes parties prenantes internes se montrent unies face à la violence et au terrorisme. L’enjeu dépasse, de loin, les conflits politiques.