Surtout éviter à tout prix de passer à côté de la vérité. Qu’il s’agisse d’un attentat terroriste ou, selon la version officielle, d’un acte criminel, toute la lumière doit être faite sur les circonstances de l’attaque menée le 9 mai par un agent de la garde nationale maritime ayant tué quatre de ses collègues sécuritaires et deux fidèles aux alentours de la synagogue de la Ghriba à Djerba. En toute transparence : il en va de la crédibilité de notre pays et pour sauver ce qui reste d’une saison touristique que l’on disait bonne.
Attentat terroriste perpétré par un loup solitaire ou acte criminel d’un forcené assoiffé de sang ?
La question mérite d’être posée d’autant que, officiellement, la piste terroriste aura été écartée par le président de la République, Kaïs Saïed. Lequel, lors du Conseil de sûreté nationale tenu mercredi 10 mai au palais de Carthage, n’a pas prononcé le mot « terrorisme », lui préférant celui d’« acte criminel ». Et ce, avant même le démarrage de l’enquête diligentée par le ministère de l’Intérieur. A savoir que lors de sa conférence de presse tenue jeudi 11 mai au département du ministère de l’Intérieur – avenue Habib Bourguiba -, le ministre fraîchement désigné, Kamel Feki, s’est bien gardé également, à l’heure actuelle, de qualifier cet acte d’«attentat terroriste».
Des blessures encore béantes
Prudence excessive ou peur de raviver les craintes d’un retour de l’ogre du terrorisme sur le sol tunisien après une accalmie de deux années ? Il est probable que le ministre de l’Intérieur pèse soigneusement ses mots alors même que les enquêteurs continuent leurs investigations pour élucider les circonstances de l’attaque menée par un agent de la garde nationale maritime ayant tué quatre de ses collègues sécuritaires et deux fidèles aux alentours de la synagogue de la Ghriba à Djerba, pendant le pèlerinage juif annuel.
Ce n’est ni le moment ni le lieu
Pourtant, en dépit de cet acte criminel qui a choqué nos concitoyens et fait la Une des médias dans le monde entier, ni le chef d l’Etat, ni la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, ni le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, n’ont fait le déplacement à Djerba. Si ce n’est la visite de terrain du ministre du Tourisme, Mohamed Moez Belhassine. Lequel, arborant une mdhalla djerbienne sur la tête, est venu nous rassurer que « la saison touristique se poursuit et qu’aucune réservation n’a été annulée ».
Etait-ce le moment opportun et l’endroit pour afficher un optimisme béat en ces terribles circonstances où le sang a coulé dans les rues de Djerba la Douce ?
« Un acte criminel lâche et odieux »
« Nous sommes réunis après l’acte criminel lâche et odieux qui a eu lieu hier à Djerba. Nombreux sont les pays, même parmi les plus grands, qui ont déjà fait les frais d’actes similaires. Ces criminels ont pris pour cible la synagogue de la Ghriba, et ce n’est pas la première fois qu’elle est visée. Nous nous rappelons l’attaque de 2002. Mais avec la vigilance de nos forces de sécurité armées, ils n’ont même pas réussi à atteindre la synagogue ». Ainsi s’exprimait mercredi 10 mai le maître de Carthage en présidant le Conseil de sûreté nationale. Ajoutant que « tous les Tunisiens connaissent pertinemment les plans de ces criminels qui se dévoilent chaque jour un peu plus. Le peuple tunisien n’est pas dupe, il est au fait des machinations de ceux qui visent à déstabiliser l’Etat ».
«L’Etat est debout et fort de ses institutions qui fonctionnent, de ses forces armées et de la vigilance de son peuple. Nul ne pourra attenter à la sécurité de la Tunisie, terre de tolérance et du vivre-ensemble », a-t-il encore martelé.
Triple message
Quel message le chef de l’Etat a-t-il tenu à adresser en interne et à l’international ?
D’abord, minimiser l’affaire en écartant d’un revers de main dédaigneux la piste terroriste pour privilégier « l’acte criminel lâche et odieux » ; ensuite, rappeler que notre pays n’est pas le seul à subir le fléau des crimes violents et barbares, « beaucoup de pays parmi les plus puissants ont déjà vécu des actes similaires », rappelait-il non sans pertinence. Enfin, pointer du doigt « ces criminels qui se dévoilent un peu plus chaque jour ».
Qui sont ces criminels auxquels le locataire du palais de Carthage fait référence en restant dans le vague comme à l’accoutumée ? Les islamistes, l’opposition dont certaines figures éminentes sont actuellement sous les verrous, des antisémites farouchement hostiles « à la normalisation avec l’entité sioniste »? Une théorie vivement contestée par le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Brahim Bouderbala. Lequel soutenait lors d’une allocution prononcée jeudi 11 mai, au début de la plénière, « qu’il n’y a pas lieu de considérer cette opération criminelle », mais comme « un crime odieux ayant visé l’Etat tunisien et la relance économique dans le pays ».
Transparence
Alors qu’il s’agisse d’un attentat terroriste (une personne fanatisée, de surcroît appartenant à la garde nationale, qui, le 9 mai, abat froidement un collègue, s’empare de son arme, tire sur la foule pour tuer le maximum de personnes avant de se diriger obstinément vers un lieu de pèlerinage pour cibler une communauté juive), ou d’un acte criminel ; il est impératif pour les autorités de nous révéler, ainsi qu’au monde entier, la vérité, toute la vérité.
Surtout éviter à tout prix de commettre l’erreur fatale de faire un remake de la malencontreuse communication autour de l’attentat-suicide d’avril 2002, où un kamikaze de 25 ans d’Al Qaïda, Nizar Naouar, s’était fait exploser dans un camion-citerne bourré d’explosifs ayant fait 19 mors et trente blessés. A l’époque, on nous a parlé d’acte isolé. Résultat de cette tromperie : la porte du marché allemand avec ses millions de touristes nous a été fermée pour des décennies.
Alors, de grâce, tirons les leçons des erreurs du passé et optons pour le langage de la vérité et la transparence totale. Il en va de notre crédibilité dans le monde. Sans parler de l’activité du secteur touristique qui commence à peine à sortir la tête de l’eau avant ce coup de massue.