Le miracle n’a pas eu lieu. Mais y a-t-il un miracle en économie ? La croissance sera faible, cette année encore, sous la barre des 2%, bien loin de la moyenne mondiale.
Le pays n’est pas pour autant atteint du syndrome japonais des années 90, quand la croissance à son plus bas niveau ne réagissait plus aux mesures de relance budgétaire et aux chocs d’offre à répétition. Chez nous, l’atonie et la langueur de la croissance ont d’autres origines que celle d’avoir atteint les frontières post-industrielles. L’économie nationale serait victime d’un désengagement et d’un désintérêt de la puissance publique, d’une forme d’immobilisme des plus tenaces et d’une double restriction, budgétaire et monétaire. Les dépenses d’équipement sont devenues de simples variables d’ajustement de choix budgétaire plus contraint que voulu. Les investissements d’avenir, si peu importants et quasi insignifiants, n’ont plus d’effets structurants et moins encore d’entrainement. La montée des taux d’intérêt et de la pression fiscale n’offre plus de perspective d’expansion pour les PME/PMI, fer de lance de l’économie, quand elle ne les condamne pas au dépôt de bilan. Le poids de la masse salariale dans la Fonction publique et le choc des déficits abyssaux des entreprises d’État plombent la croissance et font exploser les prix. La baisse inexorable du temps de travail, aggravée par une chute ininterrompue de la productivité, a noirci davantage le tableau et fait le reste. La stagflation, dont nous sommes les seuls responsables, s’installe dans la durée, avec son cortège de victimes, mettant très à mal notre modèle économique et social ou ce qu’il en reste.
Pendant plus de 12 ans, nous avons transgressé tous les principes de réalité et les lois de l’économie, en nous employant à distribuer ce qu’on ne pouvait produire. Nous avons vécu, sans nous soucier de la lente agonie de l’économie, très au-dessus de nos moyens. En s’endettant jusqu’à ne plus pouvoir rembourser notre dette. A ce jeu pervers, il arrive un moment où la machine à emprunter se grippe et se bloque. On perd la confiance des marchés et des créanciers. Nous y voilà. Sans réelle perspective d’avenir. Finis les temps où des dirigeants politiques venus d’ailleurs et d’une autre époque se nourrissaient impunément sur la bête. Un temps où, à l’unisson, on adoubait la consommation tout en sacrifiant les investissements d’avenir. Le réveil a été brutal et douloureux quand on s’est heurté aux pénuries de médicaments, de carburants, de produits de première nécessité que l’État ne pouvait plus assurer, faute de ressources et de moyens financiers. Nécessité fait loi. Il faut impérativement retrouver le chemin de la raison. Et remettre de l’ordre dans la maison Tunisie, avant que le pays ne sombre suite à un naufrage économique et financier.
Réformer ou périr
Nous sommes placés devant un terrible dilemme : réformer ou périr. Nous le faisons d’abord pour nous-mêmes. C’est l’honneur de tout un peuple que de relever ce défi. Il nous faut tarir toutes les voies d’hémorragie et toutes les sources de déficits que rien ne justifie, si ce n’est le laxisme ou l’incompétence, à moins que ce soit la complicité de dirigeants partisans. Certains ajustements des prix des carburants – moyennant un plan d’accompagnement, voire un bouclier fiscal – ne sont pas de nature à enflammer le pays. Les entreprises publiques devenues, sans raison valable, de véritables gouffres financiers, n’ont pas vocation à recruter au-delà de ce qui est nécessaire et à distribuer des salaires sans contrepartie productive, sans réel souci d’efficacité économique. L’État lui-même, devenu tellement obèse, peu agile et pas assez réactif, freine la marche et le déploiement de l’économie plus qu’il ne les stimule et impulse.
Les réformes inévitables, pour difficiles et douloureuses qu’elles soient
Les réformes inévitables, pour difficiles et douloureuses qu’elles soient, sont possibles, quoi qu’on ait pu dire. Elles sont possibles parce qu’inévitables. Possibles aussi au regard de la gravité de la situation. Sans ces réformes, il ne peut y avoir de solution à la crise globale, multiforme qui sévit et dont on ne voit pas l’issue – sinon celle d’un effondrement total de l’économie. C’est un scénario catastrophe aux conséquences désastreuses : faillite économique et financière, perte d’emplois, explosion du chômage, de la pauvreté, de la misère et des troubles sociaux. Le tout aggravé par une forte dépréciation du dinar. Sa dévaluation, c’est d’une certaine manière la nôtre, nous qui n’arrêtons pas de brandir le bouclier de dignité et de la souveraineté. Il ne résistera pas à ce cataclysme économique et financier. Faut-il se résigner à voir le pays vidé de ses compétences, de ses cadres, ingénieurs, universitaires, chercheurs, médecins, de ses architectes du futur, de ses hommes et femmes de demain ? Faut-il se désespérer de les voir prendre le chemin de l’exil, aller là où ils trouveront ce qu’ils ont déjà perdu ici, la perspective d’une vie meilleure ? L’hémorragie a déjà atteint son niveau d’alerte. Attention, danger imminent !… Nous mourrions tous de cette saignée, si elle venait à s’aggraver.
Engager dans l’urgence ces réformes
Il n’y a pas d’autres moyens pour éviter l’irréparable et prévenir cette mort cérébrale que d’engager, dans l’immédiat, dans l’urgence, ces réformes dont on n’arrête pas de parler. Curieusement, le moment est des plus favorables, en raison de considérations internes et géopolitiques. Le président de la République, qui concentre tous les pouvoirs, doit profiter d’un alignement des planètes dont il n’est pas tout à fait étranger pour en donner le signal. Il le faut, ne serait-ce que pour nous prouver à nous-mêmes que nous n’avons rien perdu de notre génie national, de notre intelligence collective, de notre singularité, de notre capacité de rebond et de survie. Ils n’ont pas été abimés par la succession des chocs, des troubles et des crises de ces douze dernières années. Le pays peut et doit se fixer un véritable dessein national, retrouver son statut, son rang, la confiance et le respect des institutions financières des marchés, des créanciers frères et amis dont il ne peut se passer. Car il ne peut, à lui seul, sortir d’une si grande impasse.
Edito qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 869 n du 10 au 24 mai 2023