En 2018, Erdogan était élu avec 53 % des voix à présider les destinés de la Turquie. Il l’avait emporté alors dès le premier tour contre trois autres candidats, dont le plus proche avait 31 % des voix. Dimanche 14 mai, il n’a pas dépassé la barre des 50 % des voix et se trouve donc contraint à faire face à son rival le 28 mai pour un second tour. Les derniers résultats donnent au président Erdogan quelque 49 % des voix contre à son rival Kamal Kiliçdaroglu quelque 45 % des voix. Le troisième candidat, Sinan Ogan (droite nationaliste) est crédité de quelque 5 % des voix.
Les 64 millions d’électeurs se sont déplacés massivement aux urnes, en dépit (ou à cause) de la profonde crise économique et des conséquences terrifiantes des tremblements de terre qui ont fait 50 000 morts et des dégâts effroyables en Turquie. 90 % du corps électoral se sont déplacés aux urnes, un record mondial qui montre le très haut degré de politisation du peuple turc. Un record qui montre aussi la capacité des partis au pouvoir et dans l’opposition à mobiliser leurs troupes.
Les électeurs ont également élu 600 députés, et le président Erdogan a d’ores et déjà réclamé la victoire au parlement. Toutefois, en dépit de leur importance, les élections législatives turques ont été ignorées par la presse locale et internationale. Toute l’attention était portée sur l’élection présidentielle et sur le suspense causé par le coude-à-coude des deux principaux candidats tout au long du comptage des voix.
Les deux candidats se préparent donc pour le second tour. Chacun s’est montré confiant devant ses troupes, les assurant que la victoire est dans la poche. Il suffit de rester mobilisés jusqu’au 28 mai prochain…
Quoique disent les deux candidats en lice pour le second tour, il est difficile de prédire avec certitude qui va l’emporter en Turquie. Cela dit, on peut créditer Erdogan d’un léger avantage pour trois raisons principales. Tout d’abord, Erdogan dépasse déjà au premier tour son rival Kiliçdaroglu de 4 ou 5 % des voix. Ensuite, celui-ci est soutenu par une coalition hétéroclite de six partis dont la fragile unité pourrait ne pas tenir dans les deux semaines à venir. Troisième argument enfin, les 5 % d’électeurs qui ont voté pour le candidat Sinan Ogan (droite nationaliste) opteraient majoritairement pour Erdogan au second tour plutôt que Kiliçdaroglu, soutenu par une coalition des partis kurdes et de centre-gauche.
Sur le plan international, les Etats-Unis, l’Europe et leurs alliés en Asie souhaitent vivement la défaite d’Erdogan et la victoire de son rival. Car à Washington et à Bruxelles, le président sortant est loin d’être en odeur de sainteté. Il est détesté pour son « caractère imprévisible, cassant et arrogant ». Une détestation qui se mua en haine après le déclenchement de la guerre d’Ukraine et « les relations chaleureuses » que le président turc a choisi d’entretenir avec son homologue russe Vladimir Poutine.
Gageons que, aussi bien à Washington qu’à Bruxelles, on continuera à prier pendant les deux semaines à venir pour la victoire de Kamal Kaliçdaroglu, « un démocrate, laïque et atlantiste ». Américains et Européens croient dur comme fer que celui-ci serait certainement plus malléable, plus influençable et plus facile à convaincre du « danger russe » qu’Erdogan.
De l’autre côté de la barrière, à Moscou et dans bien d’autres capitales dans le monde arabe et musulman, on continuera à prier pendant les deux semaines à venir pour la victoire de Recep Tayyip Erdogan. Cela s’explique par les bonnes relations que le président turc a su tisser ces dernières années avec Moscou et avec de nombreux pays du monde arabe et musulman, tels que l’Iran, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Oman, Bahreïn etc. Ces derniers mois, Erdogan est allé jusqu’à réaffirmer sa volonté de normaliser les relations de la Turquie avec les anciens ennemis comme l’Egypte et la Syrie. Des pas concrets ont été franchis dans ce sens.
En attendant le nom du prochain président turc qui sera annoncé dans la nuit du 28 au 29 mai, on peut d’ores et déjà qualifier cette élection d’« historique ». Elle intervient au centième anniversaire de la République Turque édifiée en 1923 par Mustapha Kamal Atatürk. Elle divise le peuple turc et la communauté internationale en pros et anti Erdogan.