L’attentat terroriste contre La Ghriba a visé et tué des juifs et des musulmans. Et ce qui aurait pu être une occasion pour consolider le front intérieur et notre situation à l’international, a viré à la polémique idéologique et à l’exploitation politique aussi bien par le gouvernement que par les différentes oppositions. Sans parler des réactions des gouvernements occidentaux qui profitèrent de l’évènement douloureux pour mener une charge contre la Tunisie. Allant même jusqu’aux menaces d’intervenir pour selon eux « protéger la communauté juive de Tunisie » menacée par « l’antisémitisme ». Cela nous rappelle l’affaire Batou Sfez où le cocher juif de Nessim Sammama, directeur général des Finances sous Mohammed Bey (1850) et Caïd des Israélites a été condamné à mort par le tribunal d’EL Shara3, pour « offense à l’Islam ».
Les représentants de la France et de la Grande Bretagne dans la Tunisie d’alors, profitèrent de l’occasion pour imposer au Bey des réformes politiques qui aboutirent à la promulgation du « Pacte fondamental » le 10 Septembre 1857. Pour l’historien Paul Sebag, auteur d’un ouvrage intitulé Histoire des juifs tunisiens, des origines à nos jours, : « Sous couvert de combattre l’absolutisme et le fanatisme et de promouvoir les droits de l’Homme, il s’agissait pour eux de favoriser les entreprises économiques de leurs nationaux, en garantissant leur sécurité et en les soustrayant à la compétence des juridictions musulmanes… L’arrivée d’une escadre (française) dans la rade de Tunis eut raison de la résistance que le Bey opposait à des réformes libérales. »
L’histoire qui se répète?
Avouons que ce qu’on peut appeler « l’affaire de La Ghriba », déclenchée par l’attentat terroriste (ou criminel selon le chef de l’Etat), présente des similitudes troublantes avec l’affaire Batou Sfez; et ce, malgré les 183 années qui les séparent. Dans les deux cas l’Etat tunisien a été impliqué, la première fois à travers le tribunal d’El Sar3 et la seconde fois à travers le terroriste qui appartenait à la Garde Nationale avant d’en être expulsé. Mais aussi, dans les deux cas, des puissances étrangères se saisissent de l’occasion pour accuser le pays, une première fois de ségrégation religieuse et une seconde fois d’ « antisémitisme ». Les conséquences de la première ingérence sont connues et ont abouti au « Protectorat ». Mais celles de la dernière ingérence à des menaces sérieuses aux conséquences encore inconnues.
Notons simplement que le Parquet français s’est saisi de l’affaire sachant qu’une des victimes porte la nationalité de ce pays. De plus, une loi promulguée récemment en France, en l’année 2018 autorise l’Etat de ce pays à « agir » lorsqu’il s’agit d’un acte dit « antisémite ». Ce qui explique la déclaration menaçante d’Emmanuel Macron, qui, pour des raisons de politique intérieure, sachant qu’il est en grande difficulté, s’est saisi de l’évènement pour faire de la surenchère médiatique espérant trouver du soutien chez le puissant lobby sioniste qui contrôle les médias en France. Alors qu’au XIXème c’était la France et la Grande Bretagne qui se disputaient pour s’ingérer dans les affaires tunisiennes; se sont ajoutés au XXIème siècle les USA et l’Allemagne qui mènent une offensive en règle contre la souveraineté nationale tunisienne. Souveraineté dont il ne reste plus grand-chose, depuis le déclenchement du « printemps tunisien » en 2011.
Les réactions tunisiennes à cette agressivité des pays supposés êtres amis, alors que la Tunisie est en deuil de ses enfants tombés sous les balles d’un terroriste, ont été aussi violentes que mal formulées. La Tunisie n’a pas besoin de se défendre quant il s’agit de la protection de ses juifs et mêmes des juifs persécutés ailleurs. Son histoire est jalonnée d’actes significatifs dans ce sens.
La Tunisie est une terre sémite
Rappelons que le nom de Tarshish, qui désignait la Tunisie actuelle, est cité même dans l’Ancien testament. Les spécialistes de l’histoire hébraïque se disputent pour savoir si ce nom correspond à Carthage ou au sud de l’Espagne.
Selon les recherches de Paul Sebag, (même ouvrage cité plus haut), « les juifs étaient, à coup sûr, nombreux à Carthage, […] témoigne en effet la nécropole qui a été découverte au nord ouest de la ville antique, au lieu dit Gamart, citant A. Delattre, art. « Deux hypogées de Gamart ». Et selon cet historien juif tunisien : « Les juifs qui étaient établis dans l’ancienne province d’Afrique à l’époque byzantine continuèrent d’y vivre après la conquête arabe du VIIème siècle. Ils n’en subirent pas moins une profonde mutation culturelle en adoptant l’arabe, au lieu et place du Berbère, du punique ou du latin, comme langue de communication.
Pendant tous les siècles qui ont suivi la conquête arabe et jusqu’au protectorat (1881), Juifs, musulmans et chrétiens ont coexisté, sous la protection de l’Etat tunisien où les souverains étaient toujours musulmans. Les juifs et les chrétiens depuis le VIIème siècle étaient considérés comme « des gens du Livre, ahl al-Kitâb » dont l’Etat reconnaît le droit de demeurer fidèles à leurs croyances et de pratiquer les rites de leurs religions dans leurs lieux de culte, moyennant un impôt de capitation El jizya, en vertu de la sourate du Coran, qui fixe le statut des dhimmis. A cette époque, l’Inquisition sévissait en Europe et notamment en France et en Espagne où on brûlait les juifs sur les bûchers. Ce qui avait poussé beaucoup de juifs européens à fuir en Tunisie, comme les musulmans d’ailleurs.
Depuis les Aghlabides, en passant par le règne de Hafsides, des deys et des beys jusqu’à l’Etat de l’Indépendance, les juifs vécurent sous protection de l’Etat tunisien. Et depuis le pacte fondamental, ils ont eu toujours les mêmes droits que leur concitoyens musulmans, excepté sous le gouvernement français de Vichy où une loi antisémite et raciste fût promulguée le 3 octobre 1940 et fût donc appliquée en Tunisie. D’autres loi suivirent visant à exclure les juifs, de la fonction publique et des professions ayant lien avec les médias (presse, radio), du théâtre du cinéma, et d’autres domaines de la vie économique et culturelle. Une loi française imposait même la nomination d’un administrateur pour gérer les entreprises possédées par des juifs pour éliminer « toute influence juive dans l’économie nationale ».
Voilà donc la politique antisémite de l’Etat français sous Vichy. Cela c’est de l’antisémitisme pur et dur, qui a perduré même après la fin de la guerre dans les sociétés occidentales. D’ailleurs, il existe toujours malgré les lois promulguées pour l’éradiquer.
En Tunisie depuis l’Indépendance, l’Etat considère les juifs tunisiens comme des citoyens tunisiens à part entière. Et la société tunisienne au quotidien prouve chaque jour qu’elle perpétue des traditions millénaires de coexistence entre religions et ethnies. En le prouvant notamment par l’accueil de millions de touristes de toutes les religions et par la liberté du culte qui y est exercée, notamment lors du pèlerinage de La Ghriba.
Que l’on veuille toucher à ce symbole en jouant l’amalgame entre un acte terroriste isolé et l’antisémitisme, c’est une chose. Mais pour rappel, il y a eu plus de juifs tués par le terrorisme ces dernières décennies en France qu’en Tunisie. Alors un peu d’humilité Monsieur le Président Macron! Espérons que votre déclaration est juste un dérapage et non l’annonce d’une politique de diabolisation comme savent le faire certains médias européens. Il faut raison garder! La Tunisie est une terre sémite si l’on adopte ce terme qui est galvaudé à tout bout de champ et il n’est pas sûr qu’il a une valeur historique. Rappelons aussi que les arabes sont les cousins des juifs selon la mythologie et selon les textes sacrés. L’antisémitisme est un produit et un concept purement européen et n’est point un concept oriental
Pourquoi?
L’attentat d’El Ghriba est loin de révéler tous ses secrets. L’attitude des autorités tunisiennes et les déclarations des officiels n’ont fait qu’augmenter la suspicion. Alors qu’il aurait fallu recourir à la communication de crise, qui a ses règles et non pas agir comme s’il s’agit d’un acte sans conséquences.
Il est sûr que nos services sécuritaires aguerris par leur expérience contre toutes les formes du terrorisme poursuivent leurs investigations. Cet attentat ne ressemble guère aux autres actions terroristes. L’objectif principal est de déstabiliser la Tunisie et de frapper au cœur du système économique tunisien, le tourisme; à un moment où plus que jamais notre économie a besoin de respirer grâce à ses recettes.
Ceux qui ont planifié l’attentat visent à asphyxier le pays, déjà qu’il est embourbé dans les négociations avec les bailleurs de fond. En cela, ceux qui ont planifié l’attentat rejoignent ceux qui tissent une toile internationale pour priver notre pays des financements nécessaires à la survie de notre économie. Le Président de la République a eu raison de diagnostiquer les objectifs. Cependant, il aurait fallu accompagner cela de gestes symboliques, comme le déplacement sur place et la prise en charge adéquate des victimes, et pas seulement sur le plan médical. Ce qui a été fait, mais aussi à l’égard de leurs familles sans distinction.
Quant aux mesures qu’il faut prendre pour purger l’administration et particulièrement les services de police, bien que cela soit assez tard, des éléments suspects, que l’islam politique a infiltrés dans l’Etat, il faut aussi s’orienter vers des infiltrations possibles venues de services d’espionnage de pays étrangers. Sans verser dans la paranoïa, il ne faut négliger aucune piste et la possibilité que cela soit un coup monté de l’étranger est réelle. La raison est toute simple : la Tunisie qui a rompu, même maladroitement avec le « printemps arabe » doit être punie. Mais ce n’est qu’une hypothèse!