L’INS a publié l’évolution du PIB au premier trimestre 2023. Par rapport aux prévisions officielles, qui parlent d’une croissance de 1,8 % en 2023, garder ce rythme permettrait de la réaliser. Toutefois, c’est loin d’être capable de créer suffisamment d’emplois.
Au-delà des fluctuations, quelques remarques fondamentales s’imposent. Elles permettent de comprendre la dynamique future du PIB et de la croissance.
L’effet du stress hydrique
L’eau c’est la vie, et c’est l’économie aussi. Bien que l’activité de production et de distribution de l’eau, assainissement et gestion des déchets ne pèse que 149 MTND en termes de valeur ajoutée (0,6% du PIB), son impact se propage à toute l’économie.
Le secteur, qui a enregistré un recul de 3,6 % en glissement annuel, a directement impacté l’agriculture et la pêche maritime, qui ont perdu 3,1 % par rapport au premier quart 2022. Une production modeste d’huile d’olive a contribué à cette contreperformance. Mais ce n’est pas tout, car le manque de ressources hydriques a réduit la production d’autres types d’implantations.
Cette baisse est visible également sur les industries agro-alimentaires, qui ont elles aussi reculé de 8,5 % par rapport au premier trimestre 2022.
Même l’INS s’attend à ce que le secteur agricole se rétrécisse davantage. Les premiers chiffres de la saison des grandes cultures n’inspirent pas confiance. Les taux de remplissage des différents barrages restent faibles. Seule une bonne campagne d’huile pourrait sauver le dernier trimestre 2022, mais d’ici là, il ne faut pas s’attendre à des progressions.
La main invisible de l’administration fiscale
Les impôts nets de subventions sur les produits ont totalisé 1 852,6 MTND au cours du premier trimestre 2023, un record. Cela montre à quel point il y a un travail concret en matière de recouvrement des recettes de l’Etat.
En même temps, cela traduit une pression croissante sur les entreprises. Leur trésorerie est absorbée par le calendrier fiscal, les poussant à l’endettement. D’ailleurs, les activités financières et d’assurance ont évolué de 4,3 % en glissement annuel. Les financements restent axés sur le court terme, donc destinés aux cycles d’exploitation, au détriment de l’investissement.
Nous retrouvons donc l’une des raisons qui ont accentué le taux de chômage. La croissance actuelle ne permet pas de créer de l’emploi. Les sociétés n’ont aucune marge de manœuvre pour recruter dans la légalité. Réduire le déficit budgétaire n’est pas synonyme de croissance.
Le rôle fondamental des exportateurs
Il est connu que les industries exportatrices ne créent pas beaucoup de valeur ajoutée. Le textile, habillement et cuir, et les industries mécaniques et électroniques ne pèsent ensemble que 6,9 % du PIB. En même temps, elles représentent 52,8 % des exportations. Cela s’explique par le volume des importations nécessaires au fonctionnement de ces deux industries.
Ces deux activités ont, respectivement, enregistré une croissance de 13,8 % et 5,6 % au terme du premier trimestre 2023. A côté du tourisme, qui s’est envolé de 16,3 %, ces segments ont drainé des devises précieuses, qui ont permis deux choses. La première est de préserver la balance des paiements en l’absence de financements étrangers suffisants. La seconde est de donner l’opportunité aux autres activités qui nécessitent des importations de fonctionner normalement.
C’est cette diversification de l’économie qui a laissé la Tunisie vivante jusqu’à aujourd’hui. Il y a des complémentarités essentielles à préserver et qui exigent la protection de la valeur du dinar. D’où les hausses successives du taux directeur.
L’importance des industries extractives dans la génération de devises
Nous entendons parler de la nécessité de reprendre le rythme de production et d’exportation des phosphates. Avec l’extraction du pétrole et du gaz, nous sommes en train de parler d’une valeur ajoutée globale de seulement 669,4 MTND, ou 2,8 % du PIB. C’est moins de ce que génère la santé par exemple.
Théoriquement, ce n’est pas une activité clé pour l’économie. Mais en réalité c’est tout à fait le contraire. Les exportations des phosphates et la production nationale de pétrole permettent de soigner la balance commerciale, et donc réduire les besoins en financements étrangers. Leur reprise leur accordera le même statut que jouent actuellement les industries électroniques et mécaniques et le textile : un moteur de devises qui ouvre une brèche aux autres secteurs.
Les réformes ne vont pas accélérer la croissance à court terme
Est-ce que les réformes permettent de faire mieux? Sur le papier oui, mais l’effet n’est pas immédiat.
L’idée sous-jacente à ces réformes est simple : créer une marge de manœuvre pour que l’Etat investisse davantage. L’impact du recul des dépenses d’investissement public est visible au niveau de l’activité construction, qui a signé un septième trimestre consécutif de baisse de valeur ajoutée. L’Etat se concentre sur les dépenses courantes, en attendant de jours meilleurs pour investir.
Supposons maintenant que le gouvernement décide de lever les subventions énergétiques, une réforme phare. L’impact à court terme sera catastrophique, car il frappera de plein fouet la demande interne.
Pour rappel, sur les 2,1 % de croissance au premier trimestre, celle interne a pesé 1,8 %. Il faudra des années pour que l’économie puisse se réadapter à un tel choc. Et en réalité, la Tunisie n’a pas les ressources pour l’affronter.
Conclusion : nous pouvons faire mieux; mais il faut du travail et, surtout, des ressources financières.