Les tractations qui durent depuis des mois entre le ministère de tutelle et les Fédérations de l’enseignement de base et du secondaire sur la question épineuse de la rétention des notes ayant lamentablement échoué, s’oriente-t-on vers des solutions radicales, y compris la retenue sur salaire des enseignants récalcitrants?
C’est le cercle infernal. La poursuite de la rétention des notes décidée par les Fédérations de l’enseignement de base et du secondaire aboutira-t-elle à une année blanche et au passage automatique de classes?
Alors que l’année scolaire touche à sa fin et à quelques semaines de l’épreuve reine du baccalauréat, rien ne semble indiquer que le ministère de tutelle et le corps enseignant s’orientent vers une sortie de crise. En attendant la solution miracle, environ 2 300 000 élèves sont pris en otage.
Dans l’immédiat, quid des examens, des conseils, des passages de classe? Qui est responsable de cette chienlit récurrente qui touche pratiquement la majorité des familles tunisiennes? La réponse coule de source : c’est tout le système éducatif qui marche sur la tête qu’il faut revoir et repenser en urgence. A l’image d’un pays à la dérive qui ne sait plus où donner de la tête.
Inégalité
En attendant la promesse faite par le président de la République Kaïs Saïed d’ouvrir le chantier des réformes profondes et radicales dans le système éducatif via la création du Conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement « dans les plus brefs délais », l’Association tunisienne des parents et des élèves (ATUPE) a déjà appelé le mois dernier le chef de l’Etat à jouer de son autorité afin de mettre fin aux mesures de rétention des notes. Et permettre ainsi de préparer convenablement les examens du troisième trimestre et les examens nationaux. Pointant à l’occasion « l’absence d’égalité » entre les écoles privées qui fonctionnent normalement et le secteur public qui marche en claudiquant.
« L’année scolaire touche à sa fin et nous n’avons plus le temps de négocier et d’attendre l’issue des réunions concernant le dossier relatif à la rétention des notes d’examens des élèves ». C’est ce que déclarait le président de l’ATUPE, Ridha Zahrouni, à l’agence TAP. Ajoutant que « le peu de temps restant de l’année scolaire et la poursuite de la rétention des notes en plus de l’approche des examens du troisième trimestre, représentent un danger pour l’avenir des élèves ».
Pour une solution définitive et immédiate
En réaction aux doléances pressantes des parents d’élèves déboussolés et angoissés pour l’avenir de leurs enfants, le chef de l’Etat recevait le 4 mai en cours à Carthage Mohamed Ali Boughdiri et Moncef Boukthir, respectivement ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Et ce, pour souligner en termes diplomatiques « le caractère sacré du rôle des éducateurs, y compris les enseignants et les professeurs, à tous les stades de l’enseignement ». Mais surtout, et c’est la quintessence du message présidentiel, pour les sommer de trouver une solution « dans les meilleurs délais ». Et ce, afin de mettre « un terme définitif » à la crise liée à la rétention des notes.
Le message est double : donner l’impression de comprendre les revendications « légitimes » des éducateurs et les caresser dans le sens du poil, en insistant sur le « caractère sacré de leur rôle »; tout en sommant le ministre de tutelle de mettre fin à la crise. Quoi qu’il en coûte s‘il le faut.
Choix cornélien
Soit. Mais par quels moyens? Comment satisfaire les revendications essentiellement matérielles des enseignants ; alors que les caisses de l’Etat sont vides? Reste l’autre option inévitable : aller à la confrontation avec les Fédérations de l’enseignement secondaire et de base en brandissant la menace de la retenue sur salaire. Et ce, sur la base juridique que le salaire constitue la contrepartie du travail dument effectué.
Or, l’actuel ministre de l’Education, un syndicaliste ayant occupé le poste de secrétaire général de l’Union régionale du Travail de Ben Arous, également élu secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé du secteur privé lors du congrès de 2017, ira-t-il au bout de cette logique en croisant le fer avec ses anciens camarades? Choix cornélien…
Propositions et contrepropositions
Toujours est-il que pour dégoupiller la crise avec le syndicat de l’Enseignement, le ministère de l’Education a formulé un ensemble de propositions : le report des négociations au sujet des revendications professionnelles pour la fin de l’année en raison des difficultés des finances publiques; ainsi que la fin « de toute forme de travail précaire », notamment en ce qui concerne les enseignants suppléants et leur recrutement automatique dans un avenir proche. En contrepartie de la fin de la levée de la rétention des notes pour pouvoir organiser les conseils de classes dans les établissements scolaires.
Niet catégorique de l’instance directoriale de la Fédération de l’enseignement secondaire qui optait le 11 mai 2023 pour le maintien de la décision de rétention des notes pour le troisième trimestre. Tout en appelant le ministère de l’Education « à faire des propositions sérieuses capables de garantir les droits des enseignants et l’amélioration de leur pouvoir d’achat ».
Menace à peine voilée
Revenant encore une fois à la charge, le ministère de l’Education a appelé les enseignants « à assumer leur responsabilité nationale, éducative et administrative et à remettre les notes des élèves à l’administration, conformément aux délais requis dans les circulaires publiées par le ministère ».
En effet, se voulant rassurant, Mohamed Ali Boughdiri a affirmé la main sur le cœur que les examens auront lieu à temps et que la surveillance et la correction des examens, y compris les examens nationaux, se fera normalement. « Les examens sont une ligne rouge à ne pas franchir. Il n’y aura pas d’année blanche et cette crise n’aura aucun impact sur les concours nationaux », s’est-il écrié lors de son passage, mardi 16 mai, sur les antennes de Mosaïque FM.
Cependant, « il est impératif de développer le pouvoir d’achat des enseignants et d’améliorer leur situation professionnelle et financière, tout en luttant contre toute forme d’emploi précaire dans le secteur », a-t-il encore souligné.
Mais, en cas de refus de remettre les notes des élèves aux administrations de leur établissement respectif, le ministère « n’hésitera pas, le cas échéant, à prendre les mesures administratives et juridiques nécessaires ».
A la question posée par l’animateur sur la possibilité de ne pas verser les salaires des enseignants, en cas de poursuite de la rétention des notes, M. Boughdiri a répondu évasif : « Chaque chose en son temps ». Une menace à peine voilée.
« Les propos du ministre de tutelle contiennent des menaces et de la désinformation. Ils annoncent même le retour de méthodes dépassées dans la gestion des conflits », s’indigne de son côté la Fédération générale de l’enseignement de base dans un communiqué rendu public le jour même.
Retour à la case départ. On n’est pas sorti de l’auberge !