Aujourd’hui, le monde change à grande vitesse. Les ennemis d’une autre époque deviennent les alliés d’aujourd’hui et vice-versa. D’ailleurs, après la crise Ukraine-Russie et le conflit syrien, plusieurs pays se préparent à une nouvelle géopolitique économique et politique, comme le retour de la Syrie à la Ligue des Etats arabes.
Rafaa Tabib, géopoliticien, livre son analyse sur la situation dans le monde arabe et l’Arabie saoudite. Interview.
– Comment peut-on expliquer le retour de la Syrie à la Ligue Arabe après une exclusion de plus de douze ans?
Rafaa Tabib : Je préfère ne pas parler de retour, mais plutôt de réintégration parce que le retour signifie qu’il y a un départ avec un accord plus large possible. Ceci n’est pas le cas. Et ce, en raison de la mise à l’écart d’une partie de la Ligue arabe par volontarisme. Et pendant très très longtemps, le monde arabe, précisément les pays monarques, ont payé le prix très cher.
Je m’explique : plusieurs personnes ont la mémoire courte, car elles oublient que le contingent de terrorisme saoudien en termes d’effectif est plus important que celui des Tunisiens. D’ailleurs, ils sont bien plus nombreux que les Syriens. En effet, ils constituent le plus grand nombre de terroristes attrapés et arrêtées par l’armée syrienne.
– En termes de chiffres, combien de contingents sont présents dans les zones de tension en Syrie?
Il est très difficile de donner des chiffres exacts pour des raisons très spécifiques. D’abord, parce que les Syriens ne veulent pas communiquer ce chiffre. Deuxièmement, il y a des terroristes saoudiens qui ont été récupérés par l’armée syrienne pour des renseignements.
Autre élément, il y a eu récemment une découverte en février dernier, de la reconstitution de la brigade de Tabouk. C’est une ville qui se trouve au nord de l’Arabie saoudite qui était le passage obligé des terroristes saoudiens qui partaient en Syrie via la Jordanie, ensuite ils sont rentrés dans la région de la Syrie et faisaient partie de ce groupe qui était autour des frères Allouche. Ce qui a conduit l’Arabie saoudite à réagir en urgence et à discuter avec la Syrie. Et ce, dans le but de résoudre ce problème. Sachant pertinemment que la Syrie à l’heure actuelle n’a révélé aucun chiffre et encore moins une quelconque information sur les terroristes présents sur son territoire, ni pour l’Arabie saoudite ni pour la Tunisie.
« L’Arabie saoudite a compris que la guerre du Yémen était un fiasco total »
Autre fait, l’Arabie saoudite a compris que la guerre du Yémen était un fiasco total après avoir fait appel à des armées qui se sont avérées des armées de pacotille, notamment celle du Soudan.
Toutefois, il faut se rappeler que la sécurité régionale repose sur trois grands pôles : l’armée égyptienne, l’armée syrienne et l’armée irakienne. Ce sont trois pays qui auraient pu jouer un rôle.
Et pourquoi cela ne s’est-il pas fait ?
Prenez l’exemple de l’armée égyptienne avec son poids géostratégique dans la région, elle a tiré les leçons du passé. Elle ne veut donc plus être à la solde des autres. Comme ce fut le cas lors de la guerre en Irak dans les années 90, où l’armée égyptienne a perdu des milliers de ses soldats pour libérer le Koweït.
Au-delà de ce retour de manivelle, l’Arabie saoudite a pris conscience des nouveaux changements dans le monde. Et que les guerres ne se font plus avec des kalachnikovs comme dans les années 70. Mais qu’elles se font avec les drones, une arme à double tranchant. Et c’est là que les Saoudiens se sont dits à quoi servent tous ces avions F-16 achetés aux Etats Unis s’il n’y a plus la possibilité de s’en servir… D’ailleurs, il faut se rappeler de la devise américaine du temps de Trump : « Achetez plus d’ armes pour votre sécurité. »
« Les autorités saoudiennes adoptent une nouvelle doctrine géopolitique »
Et ce n’est qu’à partir de là que l’Arabie saoudite a compris l’importance d’adopter dans sa doctrine géopolitique le multilatéralisme. Cela veut dire avoir des rapports gagnants gagnants avec toutes les parties et de ne plus avoir nécessairement une attitude confrontationnelle, que ce soit avec un autre pôle ou avec un autre axe stratégique. Et cela devient par dessus tout un enjeu économique. Car l’Arabie Saoudite est en train de se préparer à la phase post-hydrocarbure.
Et pour mieux se préparer, il est nécessaire de sortir de l’économie de rente et de passer à l’économie productive. De ce fait, les Saoudiens ont commencé d’énormes projets dans tous les domaines. Cela va de l’industrie à l’innovation, en passant par le cinéma. Tout cela ne peut se faire que lorsque qu’il y a une paix dans la région.
Ainsi, nous avons assisté à deux phases : la première phase était le rapprochement avec Israël quand les Émirats ont sorti cette histoire avec la fraternité hébraïque. En revanche, les Saoudiens ont très vite compris qu’Israël demeure un projet de guerre interminable dans la région. Et qu’il ne peut y avoir aucune forme de rapport pacifique par l’intégration d’Israël dans une architecture sécurité régionale. Et donc ce multilatéralisme consiste à faire la mise en réseau des intérêts régionaux globaux internationaux. En faisant en sorte qu’aucun pays dans la région ne puisse porter atteinte à la sécurité régionale du voisin. La perspective était donc le voisin iranien. Et l’intérêt commun entre l’Arabie saoudite et l’Iran est que la Chine reste un partenaire économique des deux pays. De ce fait, les problèmes liés à la question religieuse ne se posent plus, car la question dominante est d’ordre économique et géopolitique.
Cette interview est la première partie d’une série de trois volets.