La déclaration faite par la ministre du Commerce concernant ce qui a paru être aux yeux de beaucoup un des motifs évoqués du manque de pain dans certaines régions du pays (« l’empressement ») du consommateur) était-elle la bienvenue? Voici pourquoi, il fallait sans doute éviter ce type de propos!
La ministre du Commerce et du Développement des exportations, Kalthoum Ben Rejeb, était-elle obligée d’évoquer, le 22 mai 2023, l’ »empressement » des Tunisiens en matière d’achat de pain? Lequel ayant été – faut-il le rappeler – présenté comme ce qui a paru être aux yeux de beaucoup un des motifs pour expliquer le manque de pain dans certaines régions du pays. Pourtant, beaucoup n’ont retenu que ce motif. Et pour cause : l’opinion et les médias qui la façonnent depuis des siècles sont ainsi faits, ils ne s’intéressent qu’aux « trains qui n’arrivent pas à l’heure ».
Cela, on le sait et nous l’avons constaté depuis pas mal de temps. Autant dire que cet axiome doit être pris en considération par tout dirigeant lorsqu’il communique. Et rien ne sert de faire un quelconque reproche aux médias dans cette affaire. Un grand journaliste français, Pierre Lazareff, le patron du quotidien France Soir du temps de sa gloire, avait l’habitude de répondre ceci à ses contradicteurs qui critiquaient cette propension de la presse à ne s’intéresser qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure : « Faites qu’ils soient à l’heure et je n’en parlerai plus. »
En tout état de cause, et pour revenir à la déclaration de la ministre, nous sommes en présence d’une erreur d’appréciation. Une erreur de communication même. Pourquoi? Pour au moins deux raisons.
Quelque chose à se mettre sous la dent
La première est que la déclaration de Kalthoum Ben Rejeb ne s’installe pas dans ce que l’on appelle le « politiquement correct ». Un concept qui exprime « une attitude qui consiste à policer excessivement ou à modifier des formulations parce qu’elles pourraient heurter ses interlocuteurs ».
Il est d’usage, il suffit d’observer le discours politique, qu’un dirigeant se plie à ce qui est devenu « une exigence » (voir à ce propos Dominique Dias, Marie-Laure Durand et Emmanuelle Prak-Derrington, Le « politiquement correct : tabous, normes, transgressions », Revue ILCEA, n° 42 en janvier 2021). N’a-t-on pas dans le cas présent donné l’impression d’imputer le manque de pain à l’attitude du consommateur ? Fallait-il parler, dans ce même ordre d’idées, de « famine » ? Un proverbe ne dit-il pas de surcroît, et quelle que soit la situation, que « Toute vérité n’est pas bonne à dire » ? N’a-t-on pas au même chapitre l’habitude de dire que le Tunisien jette chaque jour des kilos de pain à la poubelle? L’ »empressement » est, de ce point de vue, inscrit dans ses gènes!
De toute manière, il faut toujours réfléchir, à l’heure du triomphe des médias et notamment des réseaux sociaux, qui cherchent constamment à avoir, pour ainsi dire, quelque chose à se mettre sous la dent, aux échos que peuvent susciter nos propos. Un média n’a-t-il pas invité à la suite de la déclaration du 22 mai 2023 un membre d’une association pour réfuter – chiffres et arguments à l’appui- ce qui a été présenté comme motif du manque pain? Ses propos n’ont pas été évidemment dans le sens de la version officielle.
« Gouverner, c’est faire croire »
La seconde raison est précisément en rapport avec la première. Il s’agit de bien penser ce que l’on dit en présence des médias. Des institutions tiennent, ici, jusqu’à tenir des « argumentaires », donc ce qu’il faut dire, à l’image de ce que font les marqueteurs. Il va sans dire que ceci exige tout un labeur et des compétences en communication qui savent toujours porter la bonne parole. Et ce n’est pas là l’affaire du seul dirigeant appelé à s’exprimer en public.
Précision de taille, les propos tenus par la ministre l’ont été, en toute apparence, au cours d’une rencontre prévue à l’avance. Et non au cours d’une déclaration donnée à la va-vite. D’où l’intérêt de les préparer avec soin et selon les exigences communicationnelles du moment.
Nous savons du reste depuis le XVème siècle, et depuis Niccolo di Bernardo dei Machiavelli, l’humaniste florentin de la Renaissance, que « gouverner, c’est faire croire ». Une citation souvent mise en avant pour dire ce qui est aujourd’hui une vérité : la communication (c’est-à-dire la bonne) est un outil sans lequel l’exercice du pouvoir ne peut nullement être envisagé.
Par Mohamed Gontara