L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) commence déjà à faire parler d’elle. Le sujet de l’indépendance de la Banque centrale est le premier à causer un casse-tête à l’autorité législative.
Le passage d’un député sur les ondes de SHEMS FM a fait du bruit puisqu’il aurait évoqué un projet de loi déposé par le gouvernement autour de cette question. Quelques heures après, il a catégoriquement nié ces déclarations. Entre temps, les critiques indirectes de la présidence de l’ARP sont intervenues.
A la recherche d’un bon storytelling
Ce thème d’indépendance de l’institution d’émission pose un problème. Politiquement, il est très délicat. La majeure partie des Tunisiens n’arrive pas à avaler le pricing power des banques qui dictent leurs lois en matière de frais. Les comptes courants sont devenus une vraie vache à lait pour les établissements de crédits. Cette colère s’accentue avec les chiffres des bénéfices des banques, sur une courbe ascendante depuis quelques années.
Et ce n’est pas tout. Le recours à l’endettement interne, à travers les banques, s’est transformé en une aubaine pour le secteur. La montée des risques, en parallèle à celle des normes prudentielles, a transformé les bons de Trésor en un refuge contre la dégradation de la qualité des actifs.
La Banque centrale est accusée de faciliter le business des banques à travers l’instauration de ce cercle vicieux. Selon les défenseurs de cette thèse, elle doit créditer directement le compte du Trésor public sans passer par le secteur financier. De cette façon, les banques seront obligées d’octroyer des crédits aux entreprises.
Pour une bonne partie de la classe politique, c’est un très beau récit à raconter. Elle a besoin d’une histoire à raconter, de surfer sur un sujet aussi sensible pour se recréer une place dans le paysage. La présence du président qui, que l’on veuille ou non, a une cote inégalable de popularité, leur a fait du mal. Ce constat est valable même pour ceux qui s’auto-réclament d’être ses supporters.
Comprendre l’indépendance
La réalité des choses diffère. Nous avons besoin de comprendre de quoi nous sommes en train de parler. L’indépendance de la Banque centrale ne signifie pas qu’elle est sur une autre planète, menant seule sa politique monétaire. La collaboration est quotidienne avec le ministère des Finances et le gouvernement. C’est le banquier de l’Etat. L’indépendance lui fait éviter de subir l’influence exercée par le gouvernement sur la fixation des objectifs de sa politique monétaire, et lui confère l’autonomie dans le choix des instruments pour atteindre ces objectifs.
Certes, cette indépendance a des inconvénients. En économie, les choix sont optimaux, pas parfaits. Toutefois, c’est grâce à cette indépendance que nous avons évité le pire. Vous pouvez imaginer ce que pouvait faire l’exécutif en 2019 pour doper sa popularité, alors que la bataille électorale était à son apogée.
Du bon sens
L
a Banque centrale est en train de doser sa politique monétaire pour trouver les moyens de financement du déficit budgétaire, tout en causant le minimum de dégâts.
Actuellement, ce sont les banques qui souscrivent aux bons de Trésor émis par l’Etat. Quant à l’institution d’émission, elle accepte ces titres en tant que collatéraux dans le cadre du refinancement des banques, et ce sans les garder à maturité. Cela l’aide à contenir les taux d’intérêt, et donc de permettre au Trésor d’emprunter dans les meilleures conditions possibles sur le marché.
La Banque centrale ne finance donc pas directement le déficit budgétaire, forçant ainsi le gouvernement à améliorer sa gestion pour réduire son recours à l’endettement.
Si la Banque centrale intervient sur le marché secondaire pour acheter les titres souverains, le lien avec la création monétaire est plus évident. Les liquidités ainsi créées vont se déverser sur les marchés financiers au profit des vendeurs de ces titres, principalement les banques. Ce n’est que si ceux-ci décident de réinvestir les sommes perçues en acquérant des titres sur le marché primaire, ou en accordant davantage de crédits aux agents économiques, que ces liquidités créées viendront alimenter la masse monétaire.
Et si la Banque centrale achète des obligations d’Etat sur le marché primaire, c’est qu’elle va créer des liquidités ex nihilo. Le Trésor va utiliser une partie de cet argent frais pour payer ses fonctionnaires ou ses créanciers nationaux. Les comptes bancaires de ces derniers vont donc être crédités des sommes en question, ce qui fait gonfler la masse monétaire.
Planche à billets
Et si le gouvernement décide de passer réellement à l’acte et présente une telle loi ? Bien évidemment, il a tous les pouvoirs de le faire et elle serait votée sans difficulté. Néanmoins, nous sommes convaincus qu’il s’agira d’une erreur monumentale et irréversible. Alors que le pays est capable de respecter ses engagements vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux, en dépit de l’embargo financier déguisé actuel, il perdrait cette capacité s’il s’attaquait à l’indépendance de la Banque centrale.
Il ne faut pas aller dans la solution de facilité qui va causer une inflation totalement incontrôlable et durable. Le pouvoir d’achat des ménages va sombrer et les entreprises ne vont jamais pouvoir emprunter au même rythme qu’aujourd’hui, paradoxalement contesté.
Il faut bien comprendre que les financements des banques resteront liés à la capacité d’apporter des garanties. Inutile de rêver. Si l’exécutif veut booster le financement de la production, il n’a qu’à donner les moyens à la SOTUGAR.
Pensons deux fois, et s’il le faut à trois reprises, avant de lancer le pays dans l’enfer de l’inflation.
Bassem Ennaifar