En 1516, le corsaire Aroudj Barberousse libère la ville d’Alger du pouvoir des Espagnols, prenant ainsi le contrôle du royaume. Pourtant, il s’était allié au roi Salim Toumi, mais ce dernier décède dans des circonstances inexpliquées. Progressivement, la rumeur se répand que c’est Barberousse lui-même qui aurait assassiné le roi. L’épouse de ce dernier, la reine Zahira, décide de lui tenir tête. Telle qu’elle est présentée, Zahira est une femme moderne et tragique, une héroïne shakespearienne.
Histoire ou légende ? Jacques Philippe Laugier de Tassy, chancelier du consulat français à Alger en 1717-1718, est le premier à rapporter les évènements de la vie de Zaphira dans son Histoire du royaume d’Alger (1725). Épouse de Sélim, devenu émir d’Alger en 1510 pour lutter contre Ferdinand le Catholique, Zahira voit le corsaire Aroudj Barberousse réussir à prendre le pouvoir en septembre 1516 après avoir trahi son mari. Elle est bien décidée à l’épouser.
Malgré ses assiduités, elle se refuse à lui par fidélité à la mémoire de son mari. Au bout de plusieurs rejets, il tente de la violer, mais elle se suicide. L’historicité de Zahira est mise en doute dès le XVIIIe siècle et est plus vigoureusement rejetée depuis le XIXe siècle, Tassy ayant souvent recueilli des informations vraies et fausses ou inventé des histoires. Pour Adila Bendimerad, coréalisatrice et héroïne du film, « le sujet était d’autant plus important que la figure de Zahira n’est pas ce qu’on peut appeler une figure consensuelle, du fait qu’elle soit parfois remise en question. Mais c’est ce qui la rend plus humaine. Ce film est donc le portrait d’une femme qui peut donner une autre vision au monde de l’Algérie, mais aussi de la femme ».
Thierry Chèze estime qu’il s’agit du « désir d’un cinéma mêlant intime et spectaculaire, celui de redonner à Zahira la place que cinq siècles de patriarcat ont contribué à effacer. Un geste pour réinscrire les femmes dans le roman national et inciter les Algériennes d’aujourd’hui à résister face à des menaces similaires : les faire taire, les invisibiliser ». « Zahira, l’héroïne, femme volontaire, se distingue par sa grâce et sa modernité » (Siegfried Forster, RFI, 18 avril, 1923).
Le film reçut, lors de sa sortie, un accueil encourageant. A la Mostra de Venise 2022, il reçoit le prix de la meilleure réalisation de la sélection Giornate degli Autori pour Damien Ounouri et Adila Bendimerad. Au Festival international du film de la Mer Rouge 2022, il fut consacré meilleur premier film pour Damien Ounouri et Adila Bendimerad. « La dernière reine » montre pour la première fois sur grand écran l’histoire de l’Algérie au XVIe siècle. Ce film courageux autour de la bataille d’Alger en 1516 a l’ambition d’« une reconquête historique, culturelle, cinématographique » au service de l’histoire libératrice de ce pays, souvent réduit à l’époque coloniale. La diffusion de ce film en Tunisie constituerait une priorité, vu l’absence de films sur le XVIe siècle maghrébin.
Cet article a été publié à l’Economiste Maghrébin n°870 du 24 mai au 7 juin 2023