De nos jours, le monde connait plusieurs bouleversements géopolitiques. Et notamment la réintégration de la Syrie à la Ligue des Etats arabes ainsi que le rapprochement entre l’Arabie saoudite, l’Iran et bien d’autres. Rafaa Tabib, géopoliticien, livre son analyse sur la situation dans le monde arabe et en Arabie saoudite. Interview.
Comment expliquez-vous les relations entre la Chine et l’Arabie saoudite?
Rafaa Tabib : le rapport entre l’Arabie saoudite et la Chine sera bénéfique pour les deux parties, ce qui contribue à la force de la Chine. Cependant, les Américains chercheront à semer le doute et à intervenir pour éviter ce rapprochement à tout prix.
Il est essentiel de comprendre que l’Arabie saoudite a besoin de la paix pour entamer son projet de rénovation économique. Parallèlement, l’Iran voisin fait face à des difficultés économiques et a besoin de stabilité pour mettre fin à l’instabilité dans la région. Ainsi, il est crucial que la guerre au Yémen cesse et que l’Irak et la Syrie retrouvent leur sécurité dans la région.
Ne pensez-vous pas que les USA tenteraient de déstabiliser la région parce que les Saoudiens ne sont plus « les bons élèves »?
Bien sûr, il y aura des pas en arrière et même des revers dans ce processus de pacification de la région, mais la tendance générale est bien présente.
Ainsi, l’Arabie saoudite ne peut plus se permettre le risque d’un surarmement et d’une structure militaire qui ne garantissent aucun avantage géostratégique, bien au contraire. C’est l’une des raisons pour lesquelles il y a une réelle demande et une véritable exigence de la part des Iraniens pour parvenir à une paix avec l’Arabie saoudite.
D’autre part, l’Iran cherche à relancer son économie grâce à la coopération avec la Chine, notamment à travers des projets tels que la Route de la Soie ou la Transcaucasienne. Cependant, il y a un détail important que tout le monde ignore : l’Iran est en train de livrer des drones à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. De plus, l’Iran se donne encore quelques années pour devenir un pays méditerranéen.
La question est comment?
Cela se réalisera à travers deux voies : la voie caspienne, qui est un réservoir de gaz et de pétrole commun entre la Russie, l’Iran, l’Azerbaïdjan et d’autres pays. Cela signifie que la Mer d’Azov sera reliée à la Mer Noire grâce au canal de la Volga, permettant ainsi l’accès à la Méditerranée.
La deuxième voie concerne les Chinois et les Saoudiens, à travers la route de la Soie. Cette route partira de la Chine, traversera le Pakistan, puis l’Iran, l’Irak, la Syrie et une partie de la Turquie. Cette voie intéresse particulièrement les Saoudiens pour plusieurs raisons, notamment en termes de langues, de culture et d’échanges avec la Chine.
Nous pouvons en déduire que l’Arabie saoudite a fait une excellente analyse de la situation. Pendant ce temps, les États-Unis ne sont pas prêts à laisser passer cette opportunité offerte par l’Arabie saoudite et le Golfe persique, afin d’empêcher la concrétisation du projet saoudien.
Cependant, la force de l’économie saoudienne repose sur d’importants flux financiers, tout en garantissant des investissements massifs pour le capital chinois, notamment dans cette région du monde.
Les Chinois sont donc très intéressés par ce rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, soutenu par la Chine. Cela s’est traduit sur le terrain par une véritable paix et des échanges de prisonniers. En effet, quelques heures après la signature de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite, les frontières ont été ouvertes. Ainsi, cet accord bénéficie aux deux parties, tant du côté iranien que saoudien, mais le grand gagnant reste la Chine.
Un autre point important est qu’il existe dans ce monde arabe des paradigmes que l’on croyait perdus à jamais, tels que la coexistence pacifique entre les pays non-arabes de la Ligue arabe environnants.
En effet, on s’est toujours dit que de toutes les manières cette ligue des Etats arabes ne fonctionnerait jamais sans un leadership. A une époque, c’était Jamel Abdenacer qui avait joué un rôle important. Mais après 2011, il y a eu un vide d’hégémonie. Et en 2023, l’Arabie saoudite a compris qu’il y a un leadership à prendre. Et ce, pour de multiples raisons : le multilatéralisme, l’Arabie saoudite peut prendre les rênes de la Ligue arabe en étant certaine que même les pions des Américains ne peuvent jouer que le rôle de second ordre et certainement pas de grande nuisance.
De ce fait, l’Arabie saoudite a aujourd’hui besoin d’un consensus réel autour de son leadership. Cependant, ce consensus ne sera pas idéologique comme dans les années 70. Il s’agira plutôt d’une phase de co-construction de la paix.
Quelle est la position de la Tunisie? Qu’est-ce qu’elle gagne et qu’est-ce qu’elle perd?
Elle n’a pas beaucoup de choses à perdre. Qu’est-ce que la Tunisie peut gagner ? C’est très simple, il faudrait que la Tunisie saisisse ces changements substantiels au vol. Entre-temps, l’Arabie saoudite a besoin de culture et je ne pense pas qu’elle puisse puiser chez les Irakiens sur le plan académique. En revanche, elle peut chercher du côté des Tunisiens. Ce que nous pouvons leur apporter, c’est plutôt notre expertise dans le domaine multisectoriel et transdisciplinaire. Pour être clair, dans le domaine de la formation professionnelle, l’Arabie saoudite est en train de mener une véritable révolution en termes de la place même des métiers. La Tunisie possède une expérience sans égale dans le monde arabe. La Tunisie a également des atouts géopolitiques majeurs, notamment grâce à notre position géographique proche de l’Europe.
Maintenant que la Tunisie s’est engagée dans la lutte contre l’islamisme radical, contrairement à d’autres pays qui combattent le terrorisme islamiste, elle offre à l’Arabie saoudite un nouveau visage au sein de la communauté musulmane arabe en Europe. De plus, la Tunisie peut être un atout pour la coopération économique, notamment dans le domaine de l’industrie. Enfin, la Tunisie est un pays de diversité culturelle où la langue arabe est une richesse, mais pas la seule.