Il l’a emporté par 51, 16 % sur son rival (47, 84 %) après dépouillement de 99, 85 % des voix. Cette victoire va lui permettre de fêter le centième anniversaire de la première République Turque fondée par Atatürk et, en même temps, sa réélection haut la main à la tête de la deuxième République Turque qu’ il a eu largement le loisir de façonner à sa manière pendant plus de 20 ans.
Recep Tayyip Erdogan a donc été réélu avec quelque deux millions de voix de plus que son rival Kemal Kiliçdaroglu. Il a été réélu en dépit du tremblement de terre dévastateur du 6 février dernier, de l’inflation galopante à deux chiffres, de la hausse vertigineuse des prix, de la crise économique aiguë, du chômage endémique et de bien d’autres problèmes encore.
Erdogan a démontré encore une fois qu’il a la peau dure
Il n’a pas raté l’occasion de se vanter en faisant une sorte de pied-de-nez à ses opposants intérieurs et extérieurs : « Dans l’histoire des élections, jamais un pays au monde n’a eu un taux de participation dépassant les 90 % des inscrits », affirme-t-il, face à une foule ivre de joie de voir son idole aux commandes pour les cinq ans à venir.
En se faisant réélire avec une avance confortable sur son rival, Erdogan a démontré encore une fois qu’il a la peau dure. Une peau résistante à l’usure du pouvoir. Les opposants expliquent sa victoire par sa mainmise sur les moyens matériels et logistiques de l’Etat et leur utilisation en sa faveur pendant la campagne électorale. Comme élément décisif de la victoire du président sortant, ils citent « les sommes faramineuses » dépensées par Erdogan pendant la campagne électorale.
20 ans de règne
Il est dans l’ordre des choses que l’opposition escamote les raisons essentielles qui expliquent la réélection d’Erdogan. C’est un fait que le président islamiste et son parti AKP ont joué un grand rôle dans le développement économique fulgurant qu’a connu la Turquie pendant les deux dernières décennies. Un développement qui a tiré des millions de citoyens turcs de la pauvreté et élargi sensiblement la taille de la classe moyenne, devenue au fil des années sa principale base électorale.
C’est un fait aussi que les 20 ans de règne d’Erdogan ont grandement accru le rôle joué par la Turquie tant sur le plan régional qu’international. Que ce rôle ait eu des effets dévastateurs en Syrie et en Libye et nourri la folie des grandeurs de leur président, cela n’a eu aucune conséquence sur l’attitude des électeurs. Bien au contraire, les errements turcs dans ces deux pays arabes sont considérés par une majorité de citoyens turcs comme une preuve de l’émergence de leur pays au rang des « grands » …
« Les 20 ans de règne d’Erdogan ont grandement accru le rôle joué par la Turquie tant sur le plan régional qu’international »
Cependant, l’euphorie de la victoire ne peut pas faire oublier à Erdogan qu’il dispose seulement du soutien d’un peu plus de la moitié du peuple turc. Et que sa victoire de 2023 (52 % des voix) tout comme celle de 2018 (53 % des voix), montrent le degré de polarisation de la société turque. En d’autres termes, la joie d’Erdogan de rester encore au pouvoir jusqu’en 2028 ne doit pas lui faire oublier le fait que son pouvoir n’est accepté que par la moitié du peuple turc.
Aura-t-il la capacité de tenir toutes ses promesses, comme celles de créer six millions d’emplois et de reconstruire tout ce que les séismes de février ont détruit? Difficile à dire et à prédire à la lumière des grandes crises multiformes qui secouent la planète.
Le soulagement des uns et la frustration des autres
Tout comme sur le plan interne, la victoire d’Erdogan laisse en l’état la polarisation sur le plan international. Tout comme en Turquie, il y a les contents et les malheureux de la victoire d’Erdogan, les mêmes sentiments sont observés de par le monde.
D’un côté il y a la Russie, la Chine, l’Iran, les pays du Golfe, pour ne citer que les plus importants, qui ne peuvent qu’être soulagés de l’issue de l’élection turque qui les a tenus en haleine. De l’autre, il y a les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan et de l’UE qui ont du mal à cacher leur frustration de devoir « supporter » pour cinq ans encore un président récalcitrant et incontrôlable à la tête d’un pays d’une haute importance stratégique pour l’Occident.
« Il y a les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan et de l’UE qui ont du mal à cacher leur frustration de devoir supporter »
Le soulagement qui règne principalement à Moscou, Pékin et Téhéran est parfaitement compréhensible. Pourquoi ? L’une des promesses fondamentales du rival d’Erdogan, Kemal Kiliçdaroglu, est de « replacer la Turquie dans le camp occidental et lui redonner son rôle principal au sein de l’Otan ». Le fait qu’une promesse d’une telle importance soit suspendue pour au moins cinq ans explique le soulagement des uns et la frustration des autres.