Le président de la République, Kaïs Saïed, n’a jamais caché l’admiration sans bornes qu’il a toujours vouée au deuxième calife éclairé de l’islam, Omar Ibn al Khattab. Mais de là à s’en inspirer pour trouver une réponse aux problèmes socioéconomiques auxquels notre pays est confronté, il y a un pas qui a été allégrement franchi…
Ainsi, reprenant la fameuse citation du compagnon du Prophète où il aurait confessé : « Si je l’avais su auparavant, j’aurais pris l’excédent d’argent des riches pour le distribuer aux pauvres », le chef de l’Etat a estimé, en recevant, jeudi 1er juin 2023, la cheffe du gouvernement Najla Bouden au palais de Carthage, qu’«étant donné que le système de subventions aux produits de base actuellement en place bénéficiait à tous les Tunisiens, y compris les plus aisés, il est possible au lieu de lever les subventions, au nom de la rationalisation, d’appliquer des taxes supplémentaires à ceux qui en bénéficient», estimant qu’un tel mécanisme permettrait à l’État de ne pas se soumettre aux «diktats étrangers».
Le président rappelle à l’occasion, selon un communiqué de la présidence, que « la Tunisie avait déjà eu recours à ce mécanisme depuis les années quarante du siècle dernier, à travers la création de la Caisse de compensation ».
Ambiguïté
Alors, animé par l’intention fort louable de renflouer la Caisse de compensation, Kaïs Saïed songe-t-il, pour faire simple, à prendre l’excédent d’argent des riches pour le donner aux pauvres ? Et ce, en recourant à la possibilité d’imposer des taxes supplémentaires sur « les plus aisés » en général ou sur les individus qui tirent profit illégalement de la subvention sur les produits de base ? La nuance est de taille. Car dans le premier cas de figure, le risque de porter atteinte à la paix sociale et de raviver ainsi la lutte des classes, une théorie chère à une certaine gauche totalement déconnectée, n’est pas à écarter.
A moins que le chef de l’Etat ne songe à instaurer l’impôt sur la fortune (ISF), une idée lancée par le parti des Travailleurs de Hamma Hammami. Lequel appela, le 26 novembre 2021, dans une lettre ouverte au peuple tunisien, « à instituer un ISF, impôt sur les grandes fortunes, destiné aux entreprises et entités ayant amassé de grands bénéfices pendant la pandémie du coronavirus (banques, compagnies d’assurances, opérateurs télécoms, grandes surfaces, etc.) et à obliger les sociétés offshore de ne pas transférer leurs bénéfices à l’étranger ».
Nouvelles taxes ?
A savoir que le maître de Carthage, qui ne perd pas une occasion pour fustiger les «injonctions» du FMI qui conditionne l’octroi d’un prêt à la Tunisie à des réformes économiques jugées « douloureuses », notamment la levée de certaines subventions sur les denrées de base « au risque d’affamer le peuple », n’a pas précisé la nature exacte de ces éventuelles nouvelles taxes qui seraient imposées au secteur privé dont une grande partie de Tunisiens exerçant des professions libérales rechignent à déclarer leurs revenus au fisc. Alors que les impôts des salariés sont prélevés directement à la source.
Des solutions 100% tunisiennes
Rappelons qu’à la veille de sa rencontre avec la cheffe du gouvernement, Kaïs Saïed a enfin parlé économie, une première depuis le début de son mandat. Et ce, en rencontrant, dans l’après-midi du mercredi 31 mai 2023, au palais de Carthage, un aréopage de professeurs universitaires.
« Nous sommes réunis, aujourd’hui, pour examiner ensemble les solutions économiques et sociales. Nous voulons des solutions purement tunisiennes émanant de la volonté de notre peuple et répondant à son droit à une vie digne. Encore une fois, je rappelle que nous n’acceptons aucun diktat provenant de l’étranger. La Tunisie regorge de richesses et ne manque pas de compétences et vous en êtes la preuve. Nous n’accepterons pas non plus la cession des services publics, des établissements et des institutions publics relatifs à la santé, à l’enseignement, au transport et autres, parce qu’ils font partie des droits de l’Homme et non seulement des droits des citoyens ».
Si rien n’a filtré du contenu des discussions du président de la République avec les universitaires, nous savons en revanche que l’un des participants à cette rencontre, le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali, a précisé que la réunion entre l’hôte du palais de Carthage et des universitaires spécialisés en économie a duré près de cinq heures. « Le président s’est exprimé puis a laissé le temps à ses invités de présenter leurs visions des choses ».
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Et d’ajouter : « Le président de la République, qui s’oppose aux méthodes classiques pour résoudre la crise économique, qualifiant les réformes proposées par le Fonds monétaire international (FMI) de diktats menaçant la paix sociale, a proposé la mise en place d’une taxe sur les individus bénéficiant des compensations, mais ne les méritant pas. Cela permettra de financer la Caisse de compensation ». Ainsi, s’exprimait-il dans une publication FB du 1er juin 2023.