Depuis la nuit des temps, les États n’ont eu de cesse de développer un mode de redistribution fondé sur un système fiscal en pleine évolution pour une répartition plus équitable des revenus sans porter atteinte à la dynamique de production.
L’économie est tout par sa diversité, sa complexité et sa globalité, sauf qu’on ne peut la réduire à un simple exercice de style ni la soumettre à une vision parcellaire. Vouloir financer les dépenses de subvention de produits de première nécessité en prenant sur le revenu des riches qui en profiteraient de manière indue, comme l’aurait fait en son temps le calife Omar, a tout pour plaire à une large frange de la population.
L’idée, si séduisante soit-elle, n’en soulève pas moins quelques sérieuses interrogations. Surtout quand il s’agit de la Caisse générale de compensation, si nécessaire pour préserver le fragile équilibre social. On n’est jamais à l’abri des fausses bonnes idées. Le bien n’est pas toujours l’ennemi du mal.
D’abord, parce que la référence à un lointain passé idéalisé est sujette à caution. Il n’y a pas de concordance de temps, de lieu et de mode de gouvernement. Depuis la nuit des temps, les États n’ont eu de cesse de développer un mode de redistribution fondé sur un système fiscal en pleine évolution pour une répartition plus équitable des revenus sans porter atteinte à la dynamique de production. Il y a eu à cet effet d’énormes avancées liées aux conquêtes sociales. Comparaison n’est pas forcément raison.
Qu’il faille chercher de nouveau l’argent là où il se trouve pour subvenir aux besoins vitaux des anciens et des nouveaux pauvres. Oui et mille fois oui. Surtout si cet argent a des origines troubles et qu’il soit passé à travers les mailles du filet fiscal. Autrement, cela revient à sanctionner la vertu et à donner quitus à l’évasion fiscale et une prime aux carnassiers du capital, aux trafiquants en tout genre, aux barons de la drogue et de la contrebande qui règnent en seigneurs sur plus de 50% du PIB sans s’acquitter de la moindre redevance. L’économie informelle, du reste pas si clandestine que cela puisqu’on en voit la manifestation à chaque coin de rue, génère près de 70 milliards de dinars.
Au taux de prélèvement obligatoire auquel sont soumises les entreprises citoyennes. C’est près de 20 milliards de dinars qui sont détournés ou qui échappent aux caisses de l’État, pourtant bien en peine : près de deux fois le déficit budgétaire qui donne des insomnies à notre argentière nationale.
Il serait déraisonnable d’imaginer récupérer ces montants d’un seul trait. Cela ne saurait se faire. Cela dit, l’État est en droit, il a même l’obligation, d’établir un échéancier d’une dizaine d’années pour ramener la taille et le volume de l’informel à son niveau incompressible. Il en retirera près de 2 milliards de dinars par an, sans heurts ni troubles. Tout le monde y gagnerait, l’État et la collectivité. Ceux qui sortiraient de l’ombre en intégrant progressivement l’économie formelle ne sont pas en reste. Ils s’affranchiront des circuits toxiques de la corruption, qui perd son emprise et sa raison d’être. Les damnés de la terre et de la mer pourront enfin respirer. Les 2 milliards collectés suffiront pour maintenir à leur niveau actuel les prix des produits de première nécessité, à l’exclusion des hydrocarbures. Opération salutaire, si elle venait à se produire. Elle a le mérite de réduire les zones de non-droit et d’intégrer progressivement le secteur informel sans pressuriser davantage les entreprises, victimes d’oppression fiscale.
Ce faisant, l’État élargit son espace budgétaire, ce qui lui permet d’oser engager des politiques publiques de nature à le libérer de la tyrannie de l’urgence. Car, on ne peut ni on ne doit faire l’économie des indispensables réformes, celles notamment des entreprises publiques qui n’ont pas vocation à rester dans le giron de l’État, en saignant à blanc les contribuables.
A quoi servirait de prolonger leur agonie alors qu’elles sont en état de mort cérébrale ? Qu’il faille s’interdire, en l’absence de croissance, de création d’emplois, de reflux du chômage et des prix mondiaux, de lever les subventions, cela ne doit faire l’objet d’aucun doute.
Nous avons, plus d’une fois ici même, mis en garde contre une telle mesure moralement inacceptable et économiquement inefficace. Mais de là à proclamer profiteurs payeurs, en pointant à chaque fois du doigt ces « riches » qui s’acquittent sans détour de leur devoir fiscal, revient à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Ce n’est pas parce qu’ils respirent encore qu’il faut les ponctionner jusqu’au dépôt de bilan ou pire encore, jusqu’à l’exil. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit. Taxe par ici, taxe par là pour équilibrer les caisses sociales ou les comptes publics. C’est l’assurance d’une chronique d’une mort annoncée. Pouvait-il en être autrement alors que la pression fiscale est à son maximum ?
Elle est l’une des plus élevées sinon la plus forte d’Afrique et figure en bonne place, au-dessus de la moyenne des pays de l’UE dont certains sont nos compétiteurs directs. Notre fiscalité, du reste d’une incroyable instabilité, est source d’inquiétude.
Une immense saignée et un lourd handicap pour les entreprises déjà en mal de compétitivité, contraintes, quand elles sont encore en mode de survie, de réduire la voilure, faute de moyens financiers et donc d’investissement. Partout dans le monde, la tendance des prélèvements est à la baisse pour soutenir les transitions énergétiques et écologiques, la recherche, l’innovation et les investissements pour décartonner l’économie. On ne peut naviguer à vue dans une mer agitée, à contre-courant, sans exposer nos entreprises au naufrage et à un décrochage irréversible.
L’impôt sur la fortune, si tel est le cas, a été un lamentable échec. Il a été supprimé partout où il a été établi. Il rapporte moins que ce qu’il coûte et abîme par-dessus tout le sentiment de confiance.
Trop d’impôt tue l’impôt. Une fiscalité confiscatoire qui prend pour cible « les riches », et le secteur structuré coupable de transparence, fait chuter l’investissement, si tant est qu’ils en ont encore l’envie. Elle fait baisser la production jusqu’à en provoquer l’arrêt. L’emploi, tout comme les revenus, y compris ceux de l’État, reculent. Les entreprises, au même titre que « les riches », comme si la richesse même bien acquise était un mal absolu, ne sont pas loin de leur point de rupture. Les accabler de nouvelles taxes pourrait avoir raison de leur résilience et nuire à l’économie nationale. Avec le risque de voir grossir le bataillon des chômeurs et des sans-revenus. De quoi faire exploser et rendre insoutenables les dépenses de soutien à la consommation des ménages désargentés.
Tout cela va à l’encontre de la théorie du ruissellement qui a encore de nombreux adeptes. Ces mesures de facilité à consonance populiste sont certes séduisantes, mais assez problématiques. C’est comme s’il fallait se jeter à l’eau pour éviter d’être mouillé par la pluie. Sans bouée de sauvetage, on n’est pas loin du naufrage.