Du côté des étalages, les nouvelles ne sont pas rassurantes et les consommateurs, devant la pénurie, ne savent plus à quelle boulangerie se vouer.
Il faut dire qu’on n’a plus de blé pour payer les céréaliers et, par les temps qui courent, carburer le ventre vide est chose courante depuis que l’essence se fait rare. On nous dit que c’est la faute à ces requins qui monopolisent les circuits de distribution. Des requins qui grossissent à vue d’œil au détriment de ces petits poissons, qui, le ventre vide, ne font plus le poids et coulent par le fond. Ils fournissent ainsi des proies faciles à tous les prédateurs et se font facilement prendre dans les filets des bateaux de pêche devenus des « bouteilles » pour les « harragas ». Ils doivent se dire que prendre le bateau, même un rafiot, c’est toujours mieux que de se faire mener en bateau avec cette histoire de « spéculateurs ».
L’impression qu’on nous mène en bateau, alors que c’est tout le bateau qui coule. Il coule parce qu’on s’entête à ne pas colmater la brèche causée par la Caisse de compensation transformée en mécanisme d’assistance généralisée, ou presque. Cela fait près de quarante ans, depuis la crise dite du pain, que la compensation permet artificiellement de contourner la difficulté qui consiste à apprendre à vivre, pour l’Etat et pour le citoyen, au niveau de ses moyens. Il y a la corruption qui a constamment miné le système, mais il y a aussi des habitudes prises par tout le monde de jeter le pain à la pou[1]belle, de dilapider l’eau si précieuse et de payer en tickets de repas toutes les dérives de la consommation, sauf bien entendu les repas eux-mêmes.
La compensation a toujours été considérée comme un levier social, une pratique qui permet de garder les denrées considérées comme vitales au niveau des plus démunis. La fiscalité, qui permet au système de tourner et de répartir les richesses dans un sens moins inéquitable n’en est pas moins à bout de souffle. A force de pomper chez les uns pour répartir sur les autres, la dynamique économique s’en est lourdement ressentie et on obtient ainsi un système réputé libéral qui n’encourage guère à entreprendre. Plus souvent, il sert à contourner les lois pour frauder le fisc, seul moyen, disent les intéressés, de continuer à tourner. Comme, en prime, les ressources primaires, entre autres le phosphate, sont confisquées et mises à l’arrêt pour cause de déséquilibres régionaux, la quadrature du cercle fait que rien ne tourne rond, comme on dit.
Le système dit de compensation, créé initialement comme outil de régulation et de justice sociale, s’est donc transformé en fuite en avant que l’Etat lui-même ne maîtrise plus. De temps à autre, des velléités de remise à plat font jour, pour disparaître aussitôt. L’exemple des années 80 reste dans les mémoires et la révolte dite du pain a servi de leçon à tous les politiques incapables de mener une planification à long terme, justement en mesure de venir à bout des inégalités les plus criantes à travers un développement économique et social concerté capable de redonner la confiance nécessaire dans le vivre-ensemble.
Maintenant, est-ce que taxer les riches pour compenser la Caisse de compensation est la meilleure des solutions ? Il y a là comme un bémol. Le problème tunisien, comme l’ont fait comprendre les universitaires reçus par le président de la République, n’est pas dans la redistribution des richesses, mais dans leur création. Or, la Tunisie produit très peu de richesses, donc très peu de riches. Les plumer n’ajoutera pas grand-chose, à moins qu’on veuille noyer le poisson pour accuser ensuite le vilain requin.
Le mot de la fin qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 871 du 7 au 21 juin 2023