Lors d’une visite surprise samedi dernier à Sfax, deuxième ville tunisienne d’où sont partis depuis début 2023 la majorité des candidats à l’immigration clandestine, Kaïs Saïed proclama la main sur le cœur que jamais son pays ne sera « le gardien des frontières » de l’Europe. Et s’il finissait, étouffante crise financière oblige, par céder au deal de la Commission européenne : un gros chèque en échange d’une implication totale de la Tunisie dans le dossier migratoire?
C’est la centrale syndicale qui a été la première à tirer le signal d’alarme. Ainsi, lors de son intervention, hier mardi 13 juin sur les colonnes de Mosaïque FM, le SG-adjoint de Samir Cheffi a affirmé que son organisation s’oppose totalement à ce que la Tunisie « se transforme en plateforme d’accueil des migrants subsahariens ». « Il existe depuis longtemps des plans de l’Europe visant à transformer la Tunisie en terre d’accueil des migrants subsahariens. Nous ne sommes pas par principe contre l’accord avec les parties donateurs dont le FMI, car c’est une nécessité. Mais il faut que cet accord prenne en considération l’intérêt national. Surtout, qu’il ne serve pas à imposer des diktats aux effets dévastateurs sur la société », a encore ajouté le responsable syndical.
Appréhensions
De quoi la centrale de la place Mohamed Ali a-t-elle peur? Que les largesses de l’Union européenne cachent des desseins malveillants? De Georgia Meloni, la présidente du Conseil italien et dirigeante du parti post-fasciste Fratelli d’Italia. Celle qui a réussi l’exploit de dérider l’austère maître de Carthage. Elle se démène comme un diable pour défendre le dossier Tunisie auprès des instances internationales. Elle est en train de troquer l’aide européenne contre l’implication totale de notre pays dans la question migratoire en tant que nouveau centre d’hébergement des demandeurs d’asile en instance d’étude de leur dossier. Ou bien, c’est plus cynique, en terre d’accueil pour les migrants refoulés ayant transité par nos plages. Et ce, nonobstant leurs pays d’origine? Serons-nous acculés à jouer le rôle des gendarmes de la Méditerranée?
Bref, s’agit-il d’une théorie du complot sans fondements ou d’appréhensions compréhensibles, voire légitimes? Nul doute que le citoyen lambda sent confusément qu’il y a anguille sous roche. Et ce, en l’absence totale de toute information officielle, ouvrant ainsi la porte aux interprétations les plus fantasques.
De la nécessité d’un débat national
D’ailleurs, il est intéressant de relever que Elyes Kasri, ancien ambassadeur et analyste politique, partage l’avis de ceux qui se méfient des dessous des cartes du mémorandum d’entente conclu entre le trio européen. Lequel se compose de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et du Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte et les autorités tunisiennes.
« Tout accord sur la gestion de la question migratoire conclu sous l’instigation de gouvernements européens d’extrême droite et sous l’égide de la présidente ultra conservatrice et atlantiste de la Commission européenne risque de compromettre la Tunisie dans un marché qui s’avèrera très probablement désavantageux, socialement, économiquement, sécuritairement et diplomatiquement », avertit-il sur son post FB. Ajoutant que « tout accord avec l’Union européenne ou toute autre partie étrangère sur la gestion des migrants engageant la responsabilité de la Tunisie devra faire l’objet d’un débat national ouvert et transparent et non pour ratification postérieure par un Parlement qui souffre d’un déficit de représentativité et de diversité politique ». Dont acte M. l’ambassadeur.
Deal ou chantage entre la Tunisie et l’Europe?
Mais, revenons aux faits. Mme Meloni élue pour appliquer son programme électoral visant à servir de bouclier contre les vagues incessantes de migration clandestine, Von der Leyen la catholique « atlantiste » et le Néerlandais Mark Rutte, adepte notoire d’un durcissement de la politique d’immigration dans son pays, proposent dimanche 11 juin, un partenariat en cinq axes dont les retombées sur la Tunisie seront évidentes. A savoir : une assistance macro-financière pouvant aller jusqu’à 900 millions d’euros (prêt ou don?); et 150 millions d’euros « à injecter dès maintenant dans le budget ». Ainsi que 100 millions d’euros « pour le contrôle de ses frontières, la recherche et sauvetage de migrants », selon l’expression d’Ursula von der Leyen.
La Tunisie première digue qui protège le Sud de l’Europe? Et si la bagatelle de 100 millions d’euros, offerte à nos gardes-côtes pour mieux lutter contre les embarcations de fortune qui partent de nos côtes pour rejoindre entre autres l’île de Lampedusa, était le prix à payer pour empocher à terme, après accord avec le FMI, le gros chèque de 900 millions d’euros que les pays riches du Nord nous miroitent?