Avec l’arrestation de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, alors qu’il menaçait le pays de guerre civile, la première grande défaite de l’islam politique a sonné le glas pour ce courant politico-religieux.
La seconde défaite se situe à un autre niveau, celui du soutien permanent qu’il recevait des pays européens et des USA, depuis au moins le déclenchement du « printemps arabe ».
Le nouveau tournant qui vient de se produire dans les rapports de la Tunisie avec l’Union européenne, grâce notamment à l’action du gouvernement de Meloni et au redéploiement de la diplomatie tunisienne, et dû essentiellement à l’irruption sur la scène européenne de la question migratoire, a enterré définitivement toute ambition de retour au pouvoir de l’islam politique chez nous.
L’islam politique décimé
Les réactions qui ont suivi l’arrestation de Rached Ghannouchi et son inculpation par la suite de plusieurs chefs d’accusation, allant du terrorisme jusqu’au complot contre la sûreté de l’Etat, en passant par d’autres crimes comme le blanchiment d’argent, prouvent que la parti islamiste et surtout son chef ne disposent plus d’aucun soutien populaire et encore moins d’un soutien politique sérieux des forces qui pèsent dans la scène tunisienne, particulièrement l’UGTT et le parti destourien de Abir Moussi.
Alors que tous les chefs nahdhaouis sont derrière les verrous, Ennahdha n’est même plus capable de mobiliser les quelques centaines de ses militants, qui jadis étaient de toutes les manifestations de rue. Il faut dire que le tarissement de ses sources financières a certainement joué en la défaveur de ce parti.
Mais le silence ou les condamnations du bout des lèvres, de ses chefs encore en liberté, prouvent que l’organisation islamiste vit une crise interne qu’elle n’a jamais connue auparavant. Un de ses anciens dirigeants, plusieurs fois ministre, va jusqu’à appuyer la mise derrière les verrous de son ancien patron et parrain politique Rached Ghannouchi, qu’il accuse de touts les maux, créant ainsi un précédent jamais connu dans l’histoire des mouvements d’opposition en Tunisie depuis l’Indépendance.
Le dirigeant en question n’étant pas été soumis à une quelconque pression venant des autorités, et étant lui-même un ancien prisonnier qui avait longtemps séjourné dans les prisons, a choisi de s’allier avec le pire ennemi de R. Ghannouchi, Kaïs Saïed lui-même. D’autres, qui avaient squatté auparavant les médias au nom de ce parti, gardent un silence qui en dit long sur l’intensité des conflits qui secouent l’islam politique.
Seuls quelques anciens gauchistes ou militants associatifs, souvent en rupture de ban avec leurs familles politiques, ont choisi de former un bouclier civil de Rached Ghannouchi, sous l’appellation prétentieuse de « Front du Salut ». Ils l’ont payé très cher, car ils furent à leur tour accusés de « complot contre la sûreté de l’Etat » et sont allés rejoindre ceux qu’ils voulaient défendre. Le bouclier en question qu’Ennahdha a constitué pour se prémunir contre les attaques dont ce parti est la cible a fondu rapidement et est devenu même une charge pour elle et ses défenseurs !
La multiplication des procès et surtout ceux qui concernent les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ainsi que l’envoi des combattants islamistes en Syrie, impliquent, selon la justice, la tête pensante de l’islam politique Rached Ghannouchi en personne, qui risque de passer le reste de sa vie en prison.
Les défenseurs des islamistes pointent du doigt la responsabilité du président de la République en personne, or les soupçons et les accusations de verser dans les différents assassinats et autres actions de type terroriste datent au moins de 2013, époque où Ennahdha avait les pleins pouvoirs, sauf que ce parti contrôlait totalement tous les rouages de l’appareil judiciaire et empêchait et la police et la justice de faire leur travail, et donc avant même l’élection de Kaïs Saïed à la magistrature suprême, qu’il doit aussi au soutien indéfectible de ce parti.
Il est indécent que les défenseurs d’Ennahdha aujourd’hui tentent de laver ce parti de tout soupçon et de tous les crimes dont il fut coupable, en continuant de le présenter comme un parti démocratique et même moderniste, ce qui leur enlève toute crédibilité politique, surtout que certains parmi eux comme Ahmed Nejib Chebbi avaient jadis accusé Ghannouchi et ses compagnons des mêmes crimes que leur reproche maintenant la justice officiellement.
L’opportunisme politique a des limites que la morale trace et le peuple tunisien a une mémoire qu’il invoque toujours au moment opportun. Que les uns choisissent de s’allier avec le diable, ça c’est leur affaire, mais qu’ils tentent de tromper les gens sur la nature de leurs alliés, c’est au destin de la Nation qu’ils s’attaquent et ils n’ont qu’à assumer les conséquences de leurs actes.
Le problème des alliés d’Ennahdha, c’est qu’ils ont parié sur le mauvais cheval, au mauvais moment, croyant que les alliés étrangers de l’islam politique feront tout pour remettre en selle leurs protégés et donc ils s’attendaient à leur retour rapide aux affaires. Ils l’ont crié sur tous les toits, allant même jusqu’à tenter de former un parlement et un gouvernement parallèles comme en Libye et pariant sur un soutien étranger, mettant ainsi en danger la nation, la république et l’Etat.
Sauf que l’histoire a une autre logique et que les Tunisiens ne sont plus dupes. Une grande partie de la classe politique qui a régné après 2011 doit comprendre qu’elle doit aller se rhabiller, car The Game is Over.
L’ami américain regarde ailleurs
Rached Ghannouchi, que certains prennent pour un grand stratège, s’est avéré être un piètre homme politique. L’avertissement de l’été 2013, où lui et son gouvernement ont été obligés de quitter le gouvernement, a été mal compris par ce vieux comploteur. Alors qu’il quittait le pouvoir par la porte, il est revenu par la fenêtre, grâce à un deal avec BCE.
Il avait d’ailleurs déclaré: « Nous avons quitté le gouvernement mais pas le pouvoir ! ». Ce qui était vrai, car les islamistes ont noyauté la police, la justice, la haute administration et contrôlaient toutes les mosquées et jusqu’aux institutions culturelles et surtout médiatiques, en phagocytant toutes les municipalités, tout en œuvrant pour le démantèlement de l’Etat national. Ils n’avaient pas compris que le bail est devenu caduc et cette erreur leur fut fatale et ce fut la faute de R. Ghannouchi. Ses lieutenants le savent, mais il semble qu’il était devenu autiste.
L’arrivée de Donald Trump à la tête de l’administration américaine a mis fin à l’alliance de celle-ci avec les Frères musulmans dont Ennahdha n’est qu’une succursale et dont R. Ghannouchi est un des leaders mondiaux. Le retour des démocrates de Biden aux affaires n’a pas été accompagné d’un regain d’influence du lobby pro-Frères musulmans, sans pour autant qu’ils soient complètement lâchés.
Mais la guerre d’Ukraine a changé toute la donne géostratégique et les Frères musulmans en payeront le prix fort. En dépit de leurs déclarations souvent agressives, contre le pouvoir en place en Tunisie, ils restent un allié stratégique et la Tunisie continue à travailler avec l’OTAN.
La diplomatie italienne, qui a toujours été un fidèle allié des Américains depuis la Seconde Guerre mondiale, l’exprime clairement. Ce n’est pas seulement la question brûlante de l’immigration qui explique ce retournement géostratégique, mais essentiellement la poussée russo-chinoise dans la région méditerranéenne. L’islam politique est désormais une carte brûlée ! Ceux qui ne l’ont pas compris vont le payer chèrement !