On l’espérait, on l’attendait, on la voyait comme une bouée de sauvetage pour notre économie qui coule.
La visite de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, accompagnée de la cheffe du gouvernement italien et du Premier ministre néerlandais n’aura servi qu’à se nourrir d’illusions. Avec un versement immédiat de 150 millions d’euros, parler d’aide n’est qu’un jeu de mots. Pour le reste, les autres 900 millions d’euros, on nous dira qu’on ne peut les avoir qu’après que les accords « nécessaires auront été conclus ».
Le jeu de mots dans ce cas de figure nécessite qu’on ne mentionne pas le FMI. Il faut dire que le pauvre fonds n’est même pas mentionné dans le Coran. C’est dire… Tout ça pour ça, donc. A croire que la photo de famille au Palais de Carthage n’aura servi qu’à nous inciter à vivre d’amour et d’eau fraîche. Dans notre cas de figure, l’amour de nos amis européens est bien là, pour l’eau, c’est autre chose, c’est chaud bouillant. Mais qu’importe, on aura, avec ces quelques miettes, de quoi bouillir la marmite et faire taire ceux qui crient au scandale en parlant des ventres vides et des droits de l’Homme.
Le langage des signes du côté de l’UE nous dit qu’il ne faut pas faire des vagues, surtout si ces dernières peuvent pousser les rafiots pleins d’immigrés vers les côtes italiennes
On ne se lassera, à ce propos, jamais de dire à ces râleurs que les accusations de mauvaise foi ne fournissent pas vraiment de solution. Quand les protagonistes d’une querelle semblent avoir tous raison, comme on nous le dit du côté de Bruxelles, c’est qu’on n’est pas en train de parler des mêmes choses. Et il est désormais clair que ces fouteurs de troubles ne parlent pas le même langage qu’Ursula von der Leyen. Le langage des signes du côté de l’UE nous dit qu’il ne faut pas faire des vagues, surtout si ces dernières peuvent pousser les rafiots pleins d’immigrés vers les côtes italiennes.
A quelque chose malheur est bon
Cela dit, à quelque chose malheur est bon. On aura appris, avec la présidente de la Commission européenne, à déchiffrer le langage des signes et à maitriser le jeu de mots. Sinon, on n’aurait jamais pigé la différence de terminologie dans le communiqué publié conjointement et qui parlait d’« enregistrement et réadmission des migrants », alors qu’en Italie, via l’agence italienne Nova, on parle « d’enregistrement et refoulement total ». Il parait même, diront ceux qui insistent sur les mots et n’ayant pas compris le jeu, que ce refoulement concernera aussi les refoulements dans la mer qui étaient interdits avant. Ainsi, les embarcations de migrants dans les eaux internationales seraient, qu’à Dieu ne plaise, détournées vers les ports tunisiens. Avec les quelques embarcations qu’on vient de nous offrir, il se peut, toutefois, que le jeu en vaut la chandelle.
On se le demande, sachant qu’il ne s’agit pas d’une simple modification liée à une question de syntaxe, mais plutôt d’une façon de penser.
Entretemps et en attendant des jours meilleurs, le jeu continue. Une récente publication dans le Journal officiel de la République tunisienne nous a tenus en haleine. Il s’agit d’un décret fixant les programmes du Fonds national de l’emploi, les conditions et les modalités de leur bénéfice. D’après le texte publié, on va remplacer l’expression « demandeur d’emploi » par « chercheur d’emploi ». On pourrait dire, à première vue, qu’il s’agit d’une simple modification sans conséquence. Sauf qu’on a toujours le droit de se « demander » ce qu’ils « cherchent » par ce choix des mots.
On se le demande, sachant qu’il ne s’agit pas d’une simple modification liée à une question de syntaxe, mais plutôt d’une façon de penser. Sans fouiner entre les lignes, on pourra simplement lire qu’on ne devrait plus demander d’emploi à l’État, mais aller en chercher tout seul. Désormais, le mot d’ordre est que les chômeurs n’ont qu’à chercher ailleurs, s’ils y sont. Et là, c’est sans jeu de mots.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 872 du 21 juin au 5 juillet 2023