Au-delà de l’aspect technique de la fiscalité en Tunisie, nous avons voulu vous rapporter un témoignage. L’idée est de savoir comment un chef d’entreprise voit la fiscalité en Tunisie et surtout comment il la subit au quotidien.
Pour ce faire, nous avons contacté M. Nafâa Ennaifer, à la tête d’un important groupe industriel exportateur opérant
dans l’habillement.
Il porte aussi la casquette de la Fédération Tunisienne du Textile et de l’Habillement « FTTH », dont il est vice-président. Il nous parlera de son vécu, mais surtout de sa vision des choses, de la perception qu’on a désormais de l’entreprise,« cette poule », comme il dit, qu’on a tendance à sacrifier aujourd’hui sans se soucier « des œufs et des nouveaux poussins qu’elle peut créer demain ». Et c’est là toute la problématique, selon M. Ennaifer.
Une fiscalité pour la bonne cause
Mais qu’à cela ne tienne. Nombre d’entrepreneurs auraient mieux accepté cette pression fiscale, parfois insoutenable, si elle servait « la bonne cause » et contribuait au bien-être des Tunisiens : un transport décent pour nos employés, une infrastructure et des services logistiques de qualité, de meilleurs services publics…
« Aujourd’hui, un employé doit partir de chez lui à cinq heures du matin pour arriver sur les lieux du travail à huit heures. Après trois heures de transport, c’est un employé fatigué, stressé qui commence mal sa journée de travail. Comme tous les Tunisiens, on espère évidemment que ces impôts collectés aujourd’hui ne sont plus absorbés entièrement par les dépenses courantes. Qu’ils soient plutôt investis dans l’infrastructure, dans le transport, dans la santé, dans l’éducation ».
Et là c’est un autre débat…
De la nécessité des réformes
Les faits sont là. Le témoignage de M. Ennaifer en dit long sur ce que pensent les entrepreneurs de la fiscalité en Tunisie. Mais que faut-il faire ? La réponse est simple: il faut faire des réformes tous azimuts.
« Pour lever les entraves aux entreprises, il faut connaitre les réalités du terrain. Etre proche du monde de l’entreprise. Connaitre ses vraies préoccupations. Et être réellement convaincu de la nécessité de remédier aux carences. Plusieurs réformes, plusieurs « facilitations des procédures», se sont attaquées à des choses secondaires qui n’ont eu que très peu d’impact sur l’entreprise», constate M. Ennaifer.
Par ailleurs, et selon ce dernier, « l’assainissement des fi nances publiques n’est pas un luxe pour les entreprises, dont la survie et la pérennité en dépend, quel que soit leur domaine d’activité. Nombres d’entreprises exportatrices vivent dans une bulle. Elles ne subissent pas les conséquences des problèmes budgétaires de l’Etat, ni les handicaps du climat des affaires. Mais demain, si les finances publiques ne sont pas assainies, nos réserves en devises, qui proviennent, rappelons-le, des opérateurs économiques et des non-résidents, seront absorbées pour acheter des produits de première nécessité. Dans ce cas de figure, même ces entreprises exportatrices vont elles aussi se trouver en difficulté ».
Craindre le pire ?
Doit-on pour autant craindre un « exode » des entreprises à cause de la fiscalité ? M. Ennaifer n’y croit pas vraiment. « Je ne vois pas des entreprises implantées, ayant investi, ayant formé des ressources humaines, transféré du savoir-faire, fidélisé des clients…, quitter le pays ». Cela dit, comme il nous le rappelle, « la fiscalité, lorsqu’elle n’est pas étudiée, peut évidemment entraver le développement des opérateurs ».
Il ne faut pas craindre le pire d’autant plus, comme le fait valoir M. Ennaifer, que « renverser la vapeur et rétablir la confi ance est très facile. Il suffi t d’avoir une vision. D’être convaincu qu’il faut remettre l’entreprise au cœur des préoccupations, avec l’idée que c’est elle qui crée la richesse et constitue la locomotive du pays.
Et d’ajouter : « C’est d’un vrai contrat de confiance et de responsabilité entre l’entreprise et l’Administration dont nous avons vraiment besoin ».
Cet extrait de l’interview est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 872 du 21 juin au 5 juillet 2023