Rached Bouaziz, ancien Doyen de la FSEG de Nabeul et professeur en sciences économiques, revient sur la question de l’indépendance de la Banque centrale en Tunisie (BCT). Car beaucoup de voix défendent l’idée que cette indépendance cause des pertes énormes à l’Etat tunisien. Et elles se demandent s’il n’est pas plus opportun qu’elle soit directement soumise au pouvoir exécutif.
Ces voix proposent un financement direct du déficit budgétaire par la Banque centrale de Tunisie. Ce qui réduiraient considérablement le coût de l’endettement de l’Etat. Certains proposent même une dette à taux d’intérêt nul. Bien sûr cette option est impossible, eu égard à la la loi du 25 avril 2016 promulguant le statut de la BCT.
Posée de cette manière, la question de l’indépendance de la Banque centrale nous inscrit dans un faux débat. Puisqu’elle omet le fond du problème et l’histoire qui est derrière l’idée de l’indépendance des banques centrales.
L’histoire de la question de l’indépendance des banques centrales
Cette histoire remonte aux années 1970 et 1980 avec les deux chocs pétroliers de 1970 et 1979 où l’inflation mondiale fut très élevée et entretenue par des politiques monétaires laxistes et expansionnistes mises en place par des banques centrales totalement soumises aux pouvoirs politiques en exercice.
Cependant, deux pays, le Japon et l’Allemagne, attirèrent particulièrement l’attention en réalisant des taux d’inflation faibles dans cette tourmente inflationniste mondiale. Leur particularité étaient qu’ils avaient des banques centrales indépendantes des pouvoirs politiques et avaient mené des politiques monétaires rigoureuses visant la maîtrise de l’inflation. De là est née l’idée de l’indépendance des banques centrales, idée qui fait pratiquement l’unanimité au niveau international.
Risques de la fin de l’indépendance de la Banque centrale
Ainsi, la fin de l’indépendance ouvre la voie à des politiques monétaires qui cherchent à doper et stimuler l’activité économique, particulièrement dans les périodes pré-électorales.
Rached Bouaziz souligne le risque de l’utilisation de la politique monétaire par le pouvoir politique en place pour stimuler l’activité économique et l’emploi. Et ce, sans se soucier des conséquences sur les prix et l’inflation. Or, une fois l’inflation établie à des niveaux élevés (souvent à deux chiffres), il est difficile de la ramener à des paliers acceptables (2 à 3 %).
Des exemples internationaux comme la Turquie
Alors, il fait référence à des exemples internationaux, comme la Turquie, pour illustrer les effets néfastes d’une politique monétaire laxiste et d’une banque centrale soumise au pouvoir politique.
« Le cas actuel le plus illustratif est celui de la Turquie d’Erdogan qui a limogé trois gouverneurs de la Banque centrale turque et a imposé une politique monétaire laxiste ayant abouti à un pic d’inflation à 80 % (actuellement 40 %). Juste après avoir remporté les élections, Erdogan est revenu à de meilleurs sentiments en nommant un nouveau Gouverneur de la Banque centrale Turque. Ce dernier a pratiquement doublé le taux d’intérêt passant de 8,25 à 15 % et s’est ainsi inscrit dans un schéma conventionnel d’une banque centrale indépendante. En déclarant la guerre à l’inflation et menant une politique monétaire restrictive conséquente ».
Qu’en-est-il en Tunisie? Est-ce que la BCT soutient ou non actuellement l’État tunisien?
A cette interrogation, il répond : « En réalité, oui, la banque centrale soutient l’État tunisien et joue son rôle de prêteur en dernier ressort. La BCT a joué un rôle important pour que l’État tunisien ne se retrouve jamais en situation de défaut de paiement aussi bien interne qu’externe. Permettant ainsi d’assurer le paiement des salaires et les services des dettes internes et externes. Cependant, cela s’est fait au détriment du secteur privé. Et les crédits obtenus par l’État auprès du système bancaire sont passées de 10 % dans les années 2000-2013 à plus de 20 % ces dernières années.
Et de conclure : vu son rôle de prêteur en dernier ressort et la réalité stressante des finances publiques, peut-on réellement parler d’indépendance de la Banque centrale de Tunisie? A méditer!