Ironie de l’Histoire : la main tendue à l’inflexible maître de Carthage vient de Rome. Ainsi, le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, soutient qu’« il est difficile d’exiger la levée des compensations sur le pain et le carburant pour éviter les tensions sociales en Tunisie ». Ajoutant ainsi de l’eau dans la tisane de Kaïs Saïed. Lequel ne cesse d’opposer un niet catégorique aux « diktats » du FMI.
Boucle infernale. Attendu comme le Messie par la Tunisie mais aussi par les capitales européennes, notamment Rome pour des raisons évidentes, l’accord tant espéré avec le FMI sera-t-il conclu avant la date boutoir des 28 et 29 juin correspondant au Sommet européen de Bruxelles ? Sachant que le programme d’aides européennes pour la Tunisie sera tributaire d’un accord entre le gouvernement de Najla Bouden et l’institution financière de Bretton Woods dont le siège se situe à Washington.
« Nous ne pouvons apporter une aide financière totale qu’en présence d’un accord avec le FMI », a récemment déclaré un responsable européen de haut rang, sous le couvert de l’anonymat, à l’agence de presse italienne Aki.
Le niet présidentiel
Le hic c’est qu’au moment même où l’équipe gouvernementale composée notamment du gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, et du ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, négocient d’arrache-pied avec les responsables du FMI, le président de la République, Kaïs Saïed, jure ses grands dieux que lui à la barre, il n’y aura point d’accord avec le FMI avec l’épée de Damoclès sur la tête.
Ainsi, paraphant Victor Hugo, il aura lancé à la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, que « s’il n’en reste qu’un qui refusera les recettes du FMI, je serai celui-là ». Et ce lors de leur rencontre jeudi 22 juin 2023 à Paris, en marge du « Sommet pour un nouveau pacte financier » qui s’est tenu les 22 et 23 juin dans la capitale française.
Selon un communiqué de la présidence de la République publié dans la soirée de ce jeudi-là, le chef de l’Etat tunisien a réitéré sa « ferme » opposition au programme du FMI. Arguant que les recettes proposées par l’institution financière étaient « inacceptables » et représentaient une « menace pour la paix civile ».
Et de rappeler à l’occasion les événements tragiques de décembre 1983 et janvier 1984 causés par la décision de levée de la subvention sur les céréales, en référence aux « émeutes du pain ». Soulignant au passage et non sans ironie que « ceux qui évoquent des bases de données ne savaient rien de la réalité tunisienne » ; et que lui, garant de la paix civile, « ne saurait tolérer l’effusion de sang en Tunisie ».
D’autre part, intervenant à une table ronde autour de « la solidarité pour sortir du piège de la dette », tenue en marge du Sommet de Paris, le président dénonça avec un fort accent tiers-mondiste « les inégalités qui ne cessent de se creuser entre le Nord et le Sud ». Tout en signalant que « les pays du Sud veulent être partenaires dans la construction d’un nouveau monde profitable à l’ensemble de l’humanité, selon un travail d’égal à égal, pour réaliser les grands idéaux que nous avons en partage ».
Pour des réformes « équitables »
A noter à ce propos que, marchant scrupuleusement sur les pas du locataire du palais de Carthage, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, a affirmé – jeudi 22 juin lors d’un débat organisé par la Chambre tuniso-allemande de l’industrie et du commerce portant sur le thème « La Tunisie face aux défis économiques, opportunités et risques – visions et réalisations »- que les autorités tunisiennes sont en train de travailler avec le Fonds monétaire international (FMI) sur un programme de réformes économiques « équitable » qui prend en considération les couches vulnérables en difficulté, en raison de l’inflation et de la baisse de leur pouvoir d’achat ».
Mme Kristalina Georgieva, a-t-il révélé, souhaite, lors d’une rencontre tenue mardi 20 juin au Maroc dans le cadre des préparatifs des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI prévues en octobre prochain à Marrakech, que son institution financière aboutisse à un programme « juste » avec la Tunisie.
Un soutien « désintéressé » ?
Mais, fait remarquable, c’est le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, qui a le plus soutenu la thèse défendue bec et ongles par le président de la République, Kaïs Saïed, dans son combat de David contre Goliath contre les « diktats » imposés par les bailleurs de fonds, notamment le FMI.
« Il est difficile d’exiger la levée des compensations sur le pain et le carburant pour éviter les tensions sociales en Tunisie », insistait le ministre italien. Il s’exprimait de la sorte, lundi 26 juin 2023, en marge du Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne, selon une dépêche de l’agence de presse italienne, Nova.
Notant l’importance d’une « participation européenne » à la résolution de « la question tunisienne », le chef de la diplomatie italienne affirma qu’il est impératif d’« essayer de résoudre le problème financier, assurer la stabilité du pays et de l’Afrique du Nord et réduire les flux migratoires ». Concluant que « nous ne devons pas oublier l’importance du front sud de la Méditerranée ». En soulignant avec force que « tout le monde doit comprendre l’importance de la stabilité de la Tunisie alors qu’il y a une guerre aux frontières de l’Europe ».
Une idée force, laquelle fut martelée par Antonio Tajani, lors d’une conférence de presse tenue à Londres, mercredi 21 juin 2023. Conférence au cours de laquelle il souligna que « l’Union européenne a le pouvoir et le devoir de convaincre le Fonds monétaire international de verser le prêt demandé par la Tunisie sans exiger au préalable des réformes impossibles à mettre en œuvre ».
Notre président doit une fière chandelle au cher et précieux ami italien qui ne nous veut, sans nul doute possible, que du bien!